Les régions polaires Antarctiques | Protéger l'Antarctique
Le 6e continent est-il menacé ?
La première question qui se pose lorsqu'on pense à l'avenir de l'écosystème antarctique est de savoir si le Protocole de Madrid constitue une garantie valable contre des abus éventuels.
Sans vouloir assombrir le succès recueilli par les parties consultatives en 1991 dans la capitale espagnole, il faut néanmoins préciser que la protection de l'écosystème antarctique n'est pas encore définitivement assurée. Car, pour qu'il entre en vigueur, le Protocole doit être ratifié par toutes les parties consultatives : or, jusqu'à présent, même si la plupart des pays l'ont ratifié, quatre pays dont trois géants, les Etats-Unis, le Japon et la Russie (le quatrième pays étant la Finlande), n'ont pas encore franchi le pas - et cela, huit ans après la signature des textes à Madrid.
Les USA avancent l'argument selon lequel ils préfèrent attendre le vote de toutes les lois d'application américaines relatives aux dispositions du Protocole pour le ratifier ; le Japon, lui, protège ses chasses à la baleine.
De plus, qui dit entrée en vigueur ne veut pas nécessairement dire application effective sur le terrain : car, pour que tous ces textes puissent entrer dans un cadre juridique précis, il faut encore que les pays adoptent des lois d'application relatives au Protocole.
Une deuxième interrogation importante concerne les retombées des activités humaines dans l'Antarctique. Les organisations non gouvernementales liées à la défense de l'environnement ont longtemps insisté sur l'incidence écologique des activités scientifiques; les photos qu'ils ont publiées montrent, en effet, que des déchets de tous ordres (ordures ménagères, carcasses d'avion, fûts vides, amas de ferraille, machines hors d'usage, tôles froissées, boîtes de conserve, restes d'armatures en bois, etc) jonchent parfois les environs immédiats des stations de recherche et occasionnent des dommages là où ils ont été stockés. Le problème a été soulevé par le SCAR qui, dès 1985, reconnaissait que l'emplacement des bases avait été choisi en fonction de critères logistiques sans se soucier des incidences possibles sur l'environnement).
Dans le rapport publié à ce propos ("Impact de l'homme sur l'environnement de l'Antarctique"), le SCAR affirme que le problème le plus sérieux concerne l'élimination des déchets. A ce propos, il distingue les déchets solides des déchets ménagers et des déchets humains ; selon le document officiel, les premiers n'ont pas de conséquence biologique sensible (mis à part les particules de plastique que l'on retrouve de plus en plus souvent dans l'estomac des oiseaux de mer) car ils peuvent être soit enlevés soit brûlés dans un incinérateur à émission contrôlée. Les autres déchets humains par contre, précise encore le rapport, doivent faire l'objet d'une plus grande attention de la part des responsables de stations car, si une partie d'entre eux peut être rejeté à la mer après traitement préalable, les déchets radioactifs, eux, en même temps que ceux contenant des métaux lourds ou des composés organiques persistants, doivent impérativement être évacués en dehors de la zone du Traité, c'est-à-dire renvoyés vers le pays concernés.
Comme les ong environnementalistes sont désormais admises à assister en tant qu'observateurs aux réunions consultatives des pays du Traité de Washington, elles ont proposé une série de recommandations sur l'élimination et le recyclage des déchets. Cette problématique est sérieusement débattue au sein des ATCM (Antarctic Treaty Consultative Meeting, réunions consultatives du Traité Antarctique) comme l'indique le rapport final de la XIXe assemblée tenue à Séoul entre le 8 et le 19 mai 1995 ; l'on découvre, en effet, dans ce document, que la résolution n°5 encourage les états membres à avoir recours à des listes d'inspection spécialement élaborées lorsque doivent être vérifiées les mesures concernant la protection de l'environnement. Ces listes - qui occupent quand même 20 pages du rapport - sont divisées en 4 groupes et concernent les installation existantes, les navires qui opèrent dans le secteur de Traité, les bases abandonnées et les endroits où sont stockés des déchets.
Un an plus tard, lors de la XXe réunion des ATCM (Utrecht, 29 avril -10 mai1996), la notion même de "dommage" causé à l'environnement fut, une fois de plus, abondamment débattue. Tout cela constitue certes un pas en avant dans l'attention accordée à ce problème. Mais c'est l'application effective sur le terrain de ces textes officiels qui doit encore être renforcée.
Car, même si bon nombre de responsables de base se mettent aujourd'hui à nettoyer les alentours de leur base, même si certains pays se montrent plus vigilants que d'autres quant à l'élimination du moindre déchet en ramenant tout au pays, même si les Américains ont ajouté au budget 1990 de leurs bases antarctiques une somme de 10 millions de dollars (amenant ainsi l'enveloppe à 152 millions de dollars) dans l'unique but d'allouer cet argent à la protection de l'environnement, force est de constater qu'en l'état actuel des choses, il est impossible pour les inspecteurs de vérifier systématiquement les dispositions prises pour éliminer les déchets et donc de déterminer dans quelle mesure ils risquent de perturber l'environnement. Lorsqu'on sait que les stations antarctiques les plus modernes sont équipées de tout le confort nécessaire - bowling, sauna, classes d'aérobic, bibliothèque, salle de cinéma, salle de sport, cours de cuisine - et qu'à la base de McMurdo, par exemple, vivent l'été plus d'un millier de personnes, on ne peut qu'émettre des doutes quant à l'évacuation effective des déchets, même si, de l'avis de tous, cette pollution reste confinée aux endroits où ont été construites les stations et que leurs conséquences se mesurent en plus en termes d'éthique ou d'esthétique qu'en dégâts réels causés à l'environnement.
Une pollution plus préoccupante, par contre, concerne les polluants qui arrivent dans la régions antarctiques transportés par l'atmosphère, les courants ou les animaux marins. On sait que, depuis plus de 25 ans, les manchots de l'Antarctique sont contaminés par les pesticides stables (par exemple le DDT), par les PCBs (biphnényls polychlorés) et par les métaux lourds comme le mercure. Ces résidus proviennent principalement des activités humaines se déroulant dans les pays du Tiers-Monde où ils sont massivement et préventivement utilisés alors que certains de ces résidus très stables comme les pesticides organochlorés sont interdits depuis les années 70 dans les pays du Nord qui les produisent. Atteignant un jour l'océan, ils suivent les courants et parviennent ainsi dans les eaux australes. L'équipe de Claude Joiris (Laboratory for Ecotoxicology and Polar Ecology, VUB, Bruxelles) a ainsi détecté des résidus de DDT en Antarctique alors qu'en Europe, en raison d'un processus biologique lent et mal connu propre à ces résidus, ils se sont tous transformés en DDE, métabolite plus stable et plus toxique que le DDT lui-même. La présence de DDT non encore transformé représente donc une preuve de contamination récente.
Une situation similaire existe en ce qui concerne les métaux lourds comme le mercure. Se préoccupant de rechercher les milieux non contaminés par l'homme afin d'y déterminer la teneur naturelle en mercure, les mêmes chercheurs de la VUB sont allés effectuer des observations dans les régions polaires ; les résultats de ces campagnes montrent que, contrairement aux niveaux peu élevés rencontrés dans zones arctiques, ceux mesurés dans l'Antarctique sont nettement supérieurs et en augmentation constante.