Les régions polaires Antarctiques | L'océan Austral

Des tonnes de fer dans l'océan Austral

Un océanographe américain, John Martin, s'est, lui aussi, penché sur le paradoxe abondance des sels nutritifs/rareté du phytoplancton - précisons que cette énigme n'est pas endémique aux eaux Australes mais se retrouve également dans le Pacifique équatiorial et arctique.

Son hypothèse reposait sur la carence des eaux en fer. Au début, ce n'était qu'une intuition, basée naturellement sur des publications scientifiques. Il n'empêche que l'hypothèse a fait grand bruit ; car, tout en émettant prudemment cette nouvelle idée, le directeur du Moss Landing Marine Laboratories (sud de San Francisco) avance qu'un enrichissement délibéré en fer de l'océan Antarctique (donc une manipulation des composés chimiques de l'océan) pourrait provoquer non seulement une floraison artificielle des algues microscopiques mais également - à l'instar de la végétation qui consomme le CO2 contenu dans l'air qui l'entoure - une réduction du taux de gaz carbonique dans l'atmosphère. 300.000 tonnes de fer seraient suffisantes pour ôter 2 milliards de tonnes de CO 2 de l'atmosphère, prétend-il.

Un enrichissement délibéré en fer de l'océan Antarctique (donc une manipulation des composés chimiques de l'océan) pourrait provoquer non seulement une floraison artificielle des algues microscopiques mais également une réduction du taux de gaz carbonique dans l'atmosphère

La théorie de John Martin est à ce point spectaculaire que la presse américaine s'en empare du sujet (1) suivie de près par les scientifiques qui se réunissent en 1991 ; ces derniers recommandent aux gouvernements de considérer l'impact du fer sur la productivité marine comme un terrain de recherches et non comme un moyen politique de négliger la nécessité de réduire les émissions de gaz carboniques de leurs industries respectives.

De retour chez eux, les océanographes se remettent au travail. Deux solutions s'offrent alors à eux : soit rester sur le plan de l'observation et des recherches (aller chercher, dans des zones où ce paradoxe est présent, des anomalies qui pourraient apporter des éléments de réponse ou encore suivre par satellite ces mêmes zones et les localiser), soit appliquer à l'océanographie les méthodes pratiquées en laboratoire, c'est-à-dire perturber un système afin d'en analyser les réactions ; en d'autres termes aller jeter dans l'océan des quantités non négligeables de fer pour observer les effets de cette fertilisation artificielle sur le phytoplancton.
C'est cette dernière voie qui est empruntée par les collègues de John Martin - ce dernier, décédé en juin 1983, n'ayant pas pu vérifier son hypothèse. Trois mois plus tard, 450 kilogrammes de fer sont dispersés sur une zone de 65 km² à 500 kilomètres au sud des Galapagos.
Bien que n'étant pas très spectaculaires, les résultats montrent néanmoins que, grâce à ce traitrement de choc, les algues microscopiques utilisent l'énergie lumineuse avec plus d'efficacité et voient leur production de carbone multipliée par 4.
Mais, en ce qui concerne les réponses chimiques, l'expérience est moins satisfaisante ; d'un côté, le CO2 n'a pas diminué comme prévu par les calculs de John Martin, de l'autre, il ne s'est pas produit une baisse significative de la concentration en sels nutritifs.

Deux ans plus tard, l'opération est renouvelée sous le nom de IronEx II. Cette fois, le succès est au bout du chemin ; après avoir injecté du fer dans le Pacifique équatorial pendant une semaine, les algues croissent de telle sorte que la concentration en nitrates des eaux diminue sensiblement et absorbent 30% du gaz carbonique initialement présent. Bien que les résultats complets de cette dernière expérience ne sont pas encore disponibles, l'hypothèse de la carence en fer de l'océan avait été brillamment vérifiée.

 

(1) Voir l'article de Curt Suplee "How to save the world : give oceans an iron shot", l'International Herald Tribune du mardi 15 octobre 1996.