Les régions polaires Antarctiques | Protéger l'Antarctique

Quelques cas de pollution

Avant de faire le point sur la situation actuelle du continent Antarctique aussi bien au niveau politique, scientifique ou environnemental, il n'est pas inutile de survoler les événements qui ont secoué - et même parfois sérieusement endommagé - son environnement depuis un quart de siècle.

Remettons-nous en mémoire d'abord l'histoire du réacteur nucléaire de la base américaine de McMurdo. Le 21 décembre 1961, un réacteur expérimental à eau pressurisée de 1,8MW, appelé le "Nukey Poo", était amené en pièces détachées à la base américaine McMurdo ; il s'agissait de produire chaleur et électricité à meilleur prix. En juillet 1962, Nukey Poo, qui avait été installé non loin du volcan Erebus, était opérationnel. Le réacteur expérimental aura fonctionné pendant dix ans ; le seul incident grave, selon la version officielle, fut l'incendie d'une certaine quantité d'hydrogène émise par le réacteur en 1962. Certes, il n'y eut aucun accident nucléaire à McMurdo ; il n'empêche que la vie du réacteur a été émaillée de petites pannes en tous genres, d'arrêts successifs, de dommages par le feu et de fuites
radioactives. En 1972, l'installation était arrêtée après que du liquide de refroidissement se fut introduit dans le réservoir du générateur de vapeur. Les Américains effectuèrent alors une enquête qui allait montrer que Nukey Poo, en fin de compte, n'était pas rentable ; après quoi, ils décidèrent de démonter l'installation et de tout ramener vers la mère patrie. Sur le même bateau, furent chargés une centaine de fûts de terre radioactive et 11.000 m³ de roches qu'il avait fallu extraire de la terre Antarctique pour analyses aux Etats-Unis. 7 ans plus tard, après moult travaux de nettoyage et de décontamination, le site est enfin redevenu ce qu'il était avant que Nukey Poo ne soit installé sur son sol.

Un autre cas d'atteinte à l'environnement concerne la construction d'une piste d'atterrissage française en Terre Adélie. Elle devait pouvoir supporter les gros porteurs et être bâtie sur un chapelet d'îles qui s'étendent en ligne droite sur une distance d'environ 1.000 mètres, tout à proximité de l'île des Pétrels où est installée la base Dumont d'Urville. Pour les responsables et scientifiques français, Paul-Emile Victor en tête, il s'agissait de ne plus risquer d'être bloqué par les glaces, de pouvoir conduire des recherches de courte durée, d'allonger les campagnes d'été d'octobre à mars et de pouvoir mener des études géophysiques sur le continent à partir du plateau sur lequel serait installée une station, le dôme C ; pour eux, l'impact sur la faune considéré comme faible ne valait pas qu'on arrêta le projet.
Pendant plusieurs années, l'affaire fit grand bruit. La raison de cette levée boucliers était simple : l'?le des Pétrels sur laquelle est installée la base fran?aise est un site écologiquement exceptionnel - c'est d'ailleurs pour la richesse de ce site que la première base fran?aise, Port Martin (détruite par le feu dans les années 50 et remplacée par Dumont d'Urville), y avait été installée... Une fois n'est pas coutume, les scientifiques furent directement concernés et consultés. Un Comité des Sages fut, en effet, créé par le gouvernement français qui se prononça pour l'arrêt des travaux ; mais le rapport resta curieusement confiné dans les tiroirs pendant de nombreux mois. Le SCAR se pencha à son tour sur le problème en acceptant d'analyser un rapport produit par Greenpeace qui s'était rendu sur place et montrait du doigt l'insuffisance des études préalables d'impact sur l'environnement. Ne trouvant pas de solution, le SCAR se contenta d'avancer que les principes de telles évaluations n'avaient pas été prévus dans les articles du Traité au moment où les premiers travaux de terrassements avaient commencé.
L'UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature et des ressources naturelles), elle aussi, se joignit au concert des protestations et demanda au gouvernement français de réfléchir à d'autres solutions. Du côté des écologistes, les protestations furent, on s'en doute, moins penaudes. On se souvient peut-être des militants de Greenpeace montant, à Brest en 1984, à bord d'un navire et s'installant en haut du mât pendant plus de 50 heures pour protester contre le fait que les cales transportaient du matériel destiné à la piste de la terre Adélie. Ou de l'escalade par six manifestants déguisés en manchots de la façade de l'immeuble parisien des Terres Australes et Antarctiques Françaises qui réclamaient la publication du rapport. Peine perdue : en novembre 87, le ministre des Dom Tom annonçait la reprise immédiate de travaux. Mais quelques années plus tard, alors que les critiques se faisaient de plus en plus vives, une énorme tempête drossa des icebergs contre la piste en construction et l'endommagea de telle manière que les Français abandonnèrent définitivement l'idée de poursuivre le projet, le coùt des travaux de réparations ayant été jugé trop élevé.

Autre dommage causé à l'environnement antarctique : l'accident en janvier 1989 du bateau de ravitaillement (et de croisière) argentin Bahia Paraiso qui coula à 1,6 kilomètres de la station américaine de Palmer répandant près de 700 tonnes de fuel dans les eaux avoisinantes. L'alerte fut sérieuse car, en quelques jours, pas moins de 100 km² de mer furent recouverts par les hydrocarbures, causant la mort de nombreux invertébrés et oiseaux marins. L'accident put toutefois mettre en valeur la rapidité d'intervention de la National Science Foundation qui, en moins de 36 heures, réussit à dépêcher sur les lieux du naufrage ses bateaux pour évaluer les dégâts. Quatre ans plus tard, une opération conjointe fut menée par l'Argentine et les Pays-Bas sur les lieux mêmes du naufrage dans le but de récupérer le fuel resté dans les cales.
D'autre part, une étude d'impact émit l'avis qu'il y avait moins de risque pour l'environnement de laisser l'épave sur place en l'état plutôt que la transporter ailleurs. Certes, l'accident n'avait sans doute pas causé de dommages irréparables à l'environnement antarctique ; mais, sept ans après l'accident, les cales du Bahia Paraiso sont toujours en train de couler dans l'indifférence générale... Selon un communiqué de l'agence de presse Reuter qui a envoyé des observateurs sur place en janvier 1997, il se dégage de l'épave, en effet, une forte odeur de mazout et une nappe d'hydrocarbure est toujours visible. Et en ce qui concerne les dégâts causés à long terme sur la faune locale, si les manchots et les populations de crustacés ne semblent pas avoir été trop touchés, il n'en va pas de même pour celles du cormoran impérial qui, elles, ont complètement disparu de la région sinistrée.

Un dernier tableautin concernant les dégâts écologiques est à classer hors catégorie tant les propos qu'il contient sont stupéfiants. Il s'agit des lignes écrites dans le New York Times du 21 avril 1992 par Stansfield Turner, patron de la CIA (Central Intelligence Agency) entre 1977 et 1981, et enseignant à l'université de l'Ecole des Affaires publiques du Maryland. Dans l'article intitulé "Nuclear Weapons could be Stashed in Antarctica" ("Des armes nucléaires pourraient être stockées en Antarctique"), l'honorable citoyen américain propose ni plus ni moins de résoudre le problème de l'évacuation des têtes nucléaires appartenant à l'ex Union Soviétique; il s'agissait, en fait, de regrouper en Russie, à des fins de destruction obligatoire, les 30.000 têtes nucléaires appartenant à la Russie, au Kazakhstan, à la Biélorussie et à l'Ukraine. Par manque de confiance, ces trois dernières républiques, craignant que les têtes ne soient pas détruites et n'aillent gonfler le trésor de guerre d'un encombrant voisin, n'acceptèrent pas le sol russe. Il a donc fallu trouver un terrain d'entente et... de stockage. D'où l'idée de Turner de transporter les 30.000 têtes nucléaires sur le continent Antarctique et de charger une agence spéciale (américaine probablement mais cela, l'article ne le dit pas) de convoyer, une fois par an, vers la Russie les têtes devant être détruites dans l'année. Le plus étonnant dans cette vision assassine du 6e continent vient du fait que l'auteur propose comme endroit de stockage les Dry Valleys (vallées sèches) aux environs de McMurdo, les seules régions antarctiques sans glace permanente qui sont considérées par la communauté scientifique internationale comme ayant une inestimable valeur. "La question se résume à savoir, écrit l'auteur, quel risque le monde est le plus prêt à courir ; l'usage imprévisible d'armes nucléaires, ou bien la possible contamination, au cours du transport, d'une toute petite zone..."
Une attitude qui montre en tout cas que, pour certains pays ou certains lobbies, l'Antarctique n'intéresse pas en tant que tel mais est intégré dans les affaires mondiales pour pouvoir, un jour, être une solution de rechange toute trouvée capable de résoudre des problèmes qui soulageraient le reste de la Terre !