Les régions polaires Antarctiques | Protéger l'Antarctique

Le Système Antarctique remis en question ?

Une ultime menace pèse sur l'avenir du 6e continent ; la survie du Système Antarctique lui-même. Certes, depuis sa mise en place (1959), il a pu résister aux crises qui l'ont secoué (la convention de Wellington, par exemple) et se développer en marge d'un contexte historico-politique parfois hostile (44 ans de guerre froide et des effort périodiquement déployés pour placer le Traité sous le contrôle des Nations Unies).
Mais les spécialistes les plus avertis sont unanimes pour dire que cette stabilité n'est qu'apparente et que l'avenir du 6e continent demeure aujourd'hui incertain en raison des nombreux problèmes que posent l'existence, la vie et l'évolution même du Système face aux nouveaux défis que doivent sans cesse relever les pays membres.

Une première interrogation concerne la réelle efficacité des mesures prises. La CCAMLR n'a pas réellement les moyens de faire respecter ses recommandations, la mise en place par la CBI du sanctuaire des eaux australes est bafouée par les baleiniers japonais, le Protocole de Madrid n'a pas encore été ratifié par tous les pays membres : ce ne sont que quelques exemples parmi d'autres.

Une seconde préoccupation se rapporte au nombre croissant de pays devenus membres du Traité de Washington (43, le dernier adhérent étant la Turquie) et de ceux qui, persuadés que le continent Antarctique est plus riche qu'on ne veut le faire croire, souhaitent rentrer dans le Système ; cela témoigne au moins d'un intérêt croissant pour le 6e continent. Mais l'on ne peut pas affirmer que tous ces nouveaux venus ou prétendants ont uniquement le développement de la science antarctique pour cible.
Il paraît évident, en effet, que même si l'exploitation minérale de l'Antarctique est actuellement gelée par le Protocole de Madrid, la demande d'adhésion au club vise à faire partie des heureux élus au cas où, un jour, le partage effectif du gâteau antarctique deviendrait inévitable.
Une autre conséquence de l'augmentation en nombre des pays membres pourrait bien correspondre à une baisse progressive de qualité dans le rendement scientifique proprement dit.

Une troisième inquiétude concerne les relations existant aujourd'hui entre la politique et la science. Bien que la diplomatie ait toujours joué un rôle important dans les processus de décisions se rapportant à l'Antarctique, il semble qu'on assiste aujourd'hui à une politisation accrue du Système en lui-même. D'une part, les délégués envoyés par les nations concernées aux différentes réunions consultatives ne semblent pas être toujours réellement concernés par les problèmes antarctiques ni au courant de leurs tenants et aboutissants ; de plus, ils n'ont en général aucune expérience - ni directe ni engagée - de la science. De l'autre, on observe qu'à la tête des organismes de recherche antarctiques, ce sont de plus en plus des managers qui sont nommés et non plus des directeurs, ce qui fait craindre que les décisions prises sur le plan scientifique servent d'avantage des buts de propagande politique, versent dans le côté spectaculaire et incitent in fine à l'engagement de simples techniciens de la science - des exécutants en quelque sorte - plutôt que des réels chercheurs pétris d'idéal et d'indépendance d'esprit.

Cette menace de politisation du Système va de pair avec une bureaucratisation galopante de la science antarctique ; de plus en plus nombreux, en effet, sont les scientifiques qui se plaignent du nombre croissant de documents qu'ils doivent remplir avant de pouvoir partir sur le terrain. Ce nouvel état de choses est tellement préoccupant qu'au sein de certains organismes scientifiques ayant l'Antarctique pour cible, des postes de chercheur sont actuellement sacrifiés parce que les tâches réservées à l'administration des projets exigent chaque jour d'avantage de main d'oeuvre.

D'autres derniers dangers sont encourus par le Système antarctique. La complexité de plus en plus grande des problèmes débatus dans les réunions consultatives entraîne inévitablement les pays membres à accumuler les recommandations (règles) et à négliger quelque peu la recherche d'une plus grande effectivité des mesures existantes; la fréquence accrue des confrontations internationales graves au sein même du Système (abandon de la Convention de Wellington suivi des négociations serrées du Protocole de Madrid) pourrait, si elles continuent de se répéter à des intervalles si courts (1988-1991), porter un jour atteinte à l'entente et à la solidarité qui règnent actuellement entre les parties consultatives ; l'hésitation dont a fait preuve le Système en ce qui concerne la conduite à adopter envers des problèmes apparus récemment comme le tourisme ou les activités des nations non membres dans les eaux situées au-delà de 60° de latitude sud, par exemple, est d'avantage de nature à affaiblir les liens existant entre les pays membres qu'à les renforcer ; l'internationalisation toujours accrue de la recherche et la prolifération des objectif poursuivis par les programmes scientifiques risque d'introduire, à terme, une confusion entre les buts poursuivis, leur réalisation effective sur le terrain et les enjeux réels de la science en Antarctique ; la prolifération des groupes de réflexion, de travail, de recherche ou de pression à laquelle on assiste depuis une décennie ainsi que l'éclosion presque anarchique d'organismes qui se disent soucieux du destin antarctique ne favorisent évidemment ni une collaboration efficace, ni l'échange d'informations entre tous, ni une compréhension globale des problèmes antarctiques de la part du grand public.
Il faut souligner à ce propos que les campagnes de sensilisation lancées tous azimuts par les mouvements écologistes ces vingt dernières années, même s'il faut rendre grâce au destin de les avoir connues, ont eu comme effet pervers de mettre en concurrence, dans l'esprit du plus grand nombre en tout cas, les objectifs poursuivis par la science et les mesures à prendre pour préserver le milieu naturel. Quoiqu'il en soit de ces problèmes internes, il est utile de préciser que, même si le 6e continent est aujourd'hui l'objet de sérieuses menaces, personne ne peut nier que l'abandon de la Convention de Wellington et la récente signature du Protocole de Madrid sont des prises de position qui plaident en faveur d'un maintien à long terme du consensus politico-scientifique international existant et de la paix durable instaurée là-bas depuis 40 ans; ce qui prouve que le Système tel qu'il fonctionne est au moins capable de s'adapter aux pressions en provenance de l'extérieur et de digérer les dissensions qui se produisent en son sein.