LA MISSION BANQUISE de JEAN-LOUIS ETIENNE

Carte comparative des expéditions arctiques du printemps 2002

Lundi 8 juillet
Jean-Louis Etienne a passé les derniers jours de son aventure sur le pack arctique à démonter les instruments et installations scientifiques et à emballer ses affaires personnelles. Un travail qui a été terminé le dimanche 30 juin.
Ces dernières semaines d'expédition ont été caractérisées par la présence obsédante du mauvais temps (entre le 10 et le 26 juin, JL n'a pas presque pas vu le soleil) et par la fonte des glaces naturellement. Le 30 juin : "Le Polar Observer est comme un îlot perché au milieu d'une couronne d'eau. Je porte maintenant les bottes, car il y en a jusqu'à 20 cm par endroits..." Le 27 juin : " Le Polar Observer est pratiquement cerné par l'eau de fonte. Tous les pas dans la neige se terminent dans l'eau. Sur les zones basses de la banquise la neige a presque disparu, découvrant des étendues d'eau de surface en formation. Que d'eau, que d'eau. Je vais quitter la banquise à cette période estivale où elle va devenir impraticable. "

Depuis lors, l'explorateur français attend le brise-glace Yamal qui, en route vers le pôle Nord pour une croisière touristique (voir le site de Adventure Associates) doit venir le reprendre. Le brise-glace doit quitter Longyearbyen (Sptisbergen) le 9 juillet et atteindre le pôle Nord deux jours plus tard, le 10 ou le 11 - sur son site JL écrit que le départ du Spitsbergen doit s'effectuer le 4 juillet.
Quoiqu'il en soit, le navire ne devra pas s'approcher trop près de l'endroit où se trouve Etienne car il explose toutes les glaces sur son passage. Ce sera donc en hélicoptère MI8 que s'effectuera le hélitreuillage de la capsule, de l'homme et de son chien.

Mardi 25 juin
A une quinzainde de jours de sa reprise par un brise-glace soviétique, Jean-Louis Etienne continue sa dérive à bord de Polar Observer. Comme maintenant les tâches scientifiques sont en place, le médecin français a le temps d'écrire et de penser au devenir du monde ainsiqu'aux sources d'énergie qu'il va falloir développer dans le futur. Dans sa communication du jeudi 20 juin, il écrit : "L'hydrogène se présente comme le vecteur d'énergie idéal pour les transports. Les moteurs silencieux produiront un déchet peu encombrant, l'eau. Des prototypes circulent déjà en Allemagne, aux Etats-unis et dans les Pays scandinaves. Il y a des questions de coût de production, de stockage et de distribution à résoudre pour que l'hydrogène succède aux hydrocarbures. Dans quelques décennies."

De temps à autre, Etienne, qui par ailleurs est un grand compteur, rappelle au visiteur des notions indispensables comme celles sur l'effet de serre qu'il décrit le mardi 11 juin : "Nous n'entendons sur l'atmosphère que des mauvaises nouvelles : l'air est devenu irrespirable, l'effet de serre ne cesse de s'aggraver, le trou dans la couche d'ozone est loin de se refermer. L'air est malade de notre civilisation et il est temps de se réveiller. Sans cette couche d'air qui enveloppe notre planète, la vie ne serait pas possible, pour deux raisons essentielles :

I- l'atmosphère apporte l'OXYGENE que nous respirons
II- l'atmosphère crée autour de la Terre une ENVELOPPE PROTECTRICE grâce à deux phénomènes : la conservation de la chaleur du soleil et le bouclier de protection
- La conservation de la chaleur du soleil : l'effet de serre à la surface de la Terre, l'air agit comme une vitre qui laisse passer les rayons du soleil et empêche la chaleur de repartir - c'est l'effet de serre, bien connu des maraîchers pour protéger leurs cultures. L'effet de serre est donc un phénomène naturel indispensable à la vie. Sans cela la température à la surface de la terre serait très froide, - 18°C, il n'y aurait ni eau liquide, ni plantes, ni animaux, ils n'auraient jamais pu exister. Aujourd'hui on parle du réchauffement climatique car l'effet de serre est augmenté par tous nos dégazages : gaz carbonique, émanations industrielles, méthane de fermentation et autres particules.
- Le bouclier de protection : L'air est un filtre qui arrête tous les rayons dangereux pour la vie. Le plus connu de ces filtres est la couche d'ozone, ce gaz rare et naturel de la haute atmosphère qui arrête certains ultraviolets toxiques pour les cellules vivantes (Ne pas confondre avec l'ozone produit par les pollutions urbaines). L'atmosphère nous protège aussi de toutes les particules qui sillonnent le cosmos et qui nous tomberaient dessus si elles ne se désintégraient pas dans l'air : la plus belle illustration en est l'étoile filante.

L'immensité du ciel donne l'impression que l'air s'étend à l'infini, jusqu'aux étoiles. En fait l'atmosphère est une enveloppe très fine, quelques kilomètres d'épaisseur, l'équivalent d'une couche de cellophane tendue autour d'une citrouille. Sa capacité à accepter la pollution a atteint des limites que nous ressentons : difficultés respiratoires dans les villes, réchauffement climatique, amincissement de la couche d'ozone ... Ici au pôle nord, le photomètre et les fluxmètres que j'ai installés sur la banquise mesurent la transparence du ciel, les flux de rayonnement solaires, notamment les ultraviolets, pour les chercheurs du Laboratoire d'Optique Atmosphérique de Lille. Si loin du monde, on retrouve les traces de notre pollution atmosphérique. Le ciel s'empoisonne, ce ne sont pas des paroles en l'air."

Bref, chaque jour, Etienne trouve un thème intéressant (le travail de la banquise, la force de Coriolis, le réchauffement climatique, le dégel, ses rencontres avec les oiseaux de mer, la pluie au pôle Nord, le protocole de Kyoto, etc.) pour alimenter son carnet de bord, carnet de bord qui sera publié sous forme de livre après l'expédition.
Sa dernière position, le Mardi 25 juin 2002. N 86°50 839 . E 5°06 229


Le chien Lynet

Vendredi 7 juin
Le fait majeur de ses 15 derniers jours d'expédition est que Jean-Louis Etienne et son équipage (capsule et Lynet, le chien) font en quelque sorte du sur place quand ils ne font pas carrément marche arrière. " Le vent du sud joue contre moi d'une force constante. En 36 heures, écrit Jean-Louis le 23 mai, il m'a fait remonter vers le nord une semaine en arrière. Il me harcèle, me torture l'esprit, alors qu'il suffirait de rien pour calmer mon impatience à le voir s'apaiser : accepter l'idée simple qu'il est ici chez lui."
Nous avions laissé l'explorateur français le 24 mai à 87°57 N / 14°18' E : on le retrouve aujourd'hui, 15 jours plus tard, à 88°08' / 16°124 E, donc quelques minutes plus au Nord ! Ce sont les mouvements imprévus de la banquise et surtout la présence persistante et inexplicable d'un vent du sud qui donne du fil à retordre à l'expédition Mission Banquise.

Mis à part ce revers, Jean-Louis se porte à merveille. La remontée du mercure et la fonte des glaces se poursuivent ; le 24 mai au soir, Etienne a enregistré un record de température de +1°C avec un taux d'hygrométrie de 96%. Ce qui provoque des atmosphères un peu lourdes dans la capsule.
De plus, il semble avoir fait une découverte relativement intéressante : il a en effet mis en évidence une couche d'eau plus chaude à environ 400 mètres de profondeur. On ignore toutefois s'il s'agit d'une importante découverte. En attendant, Etienne continue ses observations scientifiques mais il a perdu un instument important, le carottier qui mesurait l'épaisseur de la banquise.

Vendredi 24 mai


Jean-Louis Etienne continue son lent voyage de dérive vers le sud en compagnie de son chien Lynet. Mercredi dernier, jour du dernier update de son site, il avait déjà dérivé de 2°45' vers le sud en suivant grosso modo la route prévue dans le planning de son périple. Ce qui signifie une distance d'environ 280 kilomètres depuis son départ le 15 avril.

Il faut dire qu'à l'intérieur de sa capsule, le confort est au maximum. "Il a fait entre 17 et 21°C à l'intérieur du Polar Observer pour un - 15°C dehors", écrit Jean-Louis en date du lundi 6 mai. Ce qui permet à l'explorateur de vaquer à ses occupations d'observateur et de realiser de multiples expériences scientifiques. Il mesure l'épaisseur de la glace. Voici commetn il procède (extrait de son journal du 21 mai) : " L'après-midi était consacrée à mesurer l'évolution de l'épaisseur de la banquise : elle était de 2,35 mètres la semaine dernière.
J'ai décidé de filmer la manœuvre. Je sais maintenant que de se filmer double le temps de ce que l'on fait, c'est un travail dans le travail. Percer la banquise m'a pris 3/4 d'heure mais je n'ai tourné qu'une dizaine de minutes, faisant périodiquement des allers et retours entre le trou et la caméra. J'ai filmé de loin les images du début, car je commence le forage perché sur une caisse pour manœuvrer cette tarière de 2,5 mètres de hauteur. Au fur et à mesure que l'outil s'enfonçait, je rapprochais la caméra, ce qui veut dire : mettre le trépied de niveau, refaire le cadre et revenir dans le champ de l'action.

Finalement, après une bonne heure et demie, j'ai avancé l'objectif près du trou pour filmer la dernière scène, l'eau qui jaillit de l'océan au moment de la traversée de la banquise. Manque de chance, la tige métallique de la tarière s'est cassée peu avant, laissant l'outil au fond. Il m'a fallu une heure de patience pour le repêcher, dans ce trou obscur de 12 cm de diamètre. Il commençait à s'immobiliser dans la glace et j'avais peur de le perdre. Après un examen de la situation, j'ai rabouté les deux morceaux de l'axe de ce vieil outil russe (rustique et malin) avec le matériel que j'ai trouvé sur place. Il était sept heures du soir et j'ai décidé de remettre la suite à demain, si la réparation tient bon."
Il calcule la vitesse de la dérive : "J'ai calculé la vitesse de ma dérive sur plusieurs journées de vent constant, écrit-il le 13 mai. Entre le 7 mai à 12h et le 12 mai à 12 h, la vitesse moyenne du vent a été de 20 km/h et j'ai parcouru 26 minutes en latitude soit 26 nautiques marins, soit 48 km en 5 jours, ce qui fait une vitesse moyenne de la dérive de 0,4 km/h. Ce calcul confirme que la banquise dérive à 2 % de la vitesse du vent."
Il descend (à la main) une bathysonde à plus de 600 mètres de profondeur afin de faire de mesures océanographiques.


Descente de la bathysonde


Il s'essaye également à la pêche (ceci est moins scientifique naturellement) en descendant une ligne à hameçons par le trou du filet à plancton mais sans résultat jusqu'ici.

Sa position le 23 mai à mi parcours (Etienne devrait être récupéré le 4 juillet par le Yamal, un brise-glace russe) : 87° 57' N / 14° 18' E.

Samedi 4 mai
Sur son site Web, Jean-Louis Etienne raconte par le menu détail les opérations de mesures scientifiques qu'il mène tout au long de ses journées. Le récit est passionnant tant ce travail semble être à la fois utile à la science et intéressant à mener. Voici un extrait du Jeudi 2 mai :
Il faut que je vous explique comment, avec des moyens rudimentaires, on peut faire de l'océanographie biologique, c’est-à-dire l'étude de la vie sous la banquise. Faire un trou dans la glace de 1m de côté (Tronçonneuse, pic et pèle). A la verticale du trou, placer le sommet d'un trépied fait de 3 poteaux en bois reliés par une corde. Suspendre une poulie et passer une cordelette à dérouler jusqu'au bout (150 m). Fixer l'extrémité distante avec une broche à glace et revenir au trou. Accrocher le filet à plancton et son lest de 5 kg au bout de la corde sous la poulie et immerger le tout. La cordelette se tend sous le poids. Revenir à l'extrémité de la cordelette, l'accrocher à la ceinture et revenir lentement vers le trou, à la vitesse de descente du filet. Arrivé au trépied, le filet est suspendu en bout de corde à 150 m sous la surface. C'est le moment de la remontée. Faire demi-tour et tirer, les épaules en avant, arc-bouté comme un cheval de trait, jusqu'à la broche à glace ou vous attachez la cordelette (attention qu'elle ne vous échappe pas). En vous retournant, vous apercevez à l'horizon le filet suspendu sous le trépied. La marche de retour paraît fort légère et permet de gamberger sur la moisson. On ne sait pas grand-chose sur la vie dans cet océan, alors on peut tout imaginer.
Comme la dernière fois, avec beaucoup d'excitation, j'ai ouvert le fond du filet sur la bassine et là. rien ne s'est écoulé. Un bouchon de glace obstruait le collecteur. Je l'ai cogné sur le fond de la bassine pour débloquer le bouchon et.j'ai cassé la bassine. Presque toutes les matières plastiques sont fragiles à basse température. Je suis revenu au Polar Observer pour faire fondre la glace du filet et recoller les morceaux de la bassine (c'est la seule que j'ai). Épreuve à remettre demain. Ici rien n'est jamais acquis, le diable est dans le détail.

A part cela, Jean-Louis se sent parfaitement à l'aise dans son cocon, le Polar Observer. le 3 mai en soirée, il faisait - 18°C dehors et + 17° C à l'intérieur à la hauteur du visage et 12°C à la hauteur des pieds, alors que le chauffage était arrêté depuis 18 heures. Il faut savoir que les parois du Poalr Observer contiennent une mousse isolante de 15 cm d'épaisseur, une belle illustration de l'utilisation de l'énergie solaire pour le chauffage.

Sa position le 3 mai : 89° 05' N / 06° 30' E. Depuis le jour de son départ, le 15 avril, le Polar Observer a donc dérivé de 102 km en 18 jours. Moyenne : 12,75 km par jour.
Lynet, le chien eskimau qui l'accompagne dans son périple se porte à merveille.

Vendredi 12 avril
Jean-Louis Etienne est arrivé à la base de Barnéo lundi 8 avril au soir. Trois jours plus tard, il était transporté en hélico MI 8 au pôle Nord.
Pendant ces trois jours, il a assemblé sa capsule Polar Observer et participé à une importante émission de Thalassa (qui sera diffusée le 19 avril prochain). Ce week end, Jean-Louis vérifie en compagnie de deux techniciens le fonctionnement des appareils de mesure. Un photographe est également sur place. Il devrait se retrouver seul dans son son aventure dès lundi.

11-04-02 Le point du 11/04/2002
SON PREMIER COMMUNIQUE DE PRESSE : Des nouvelles de Jean-Louis Etienne par Elsa Peny.
Aujourd’hui à midi, Jean-Louis Etienne et sa capsule seront héliportés au Pôle Nord, l’expédition pourra alors commencer !
La grande aventure, ça se mérite, aussi a-il rencontré quelques mésaventures sur son chemin vers le Pôle. Tout d’abord c’est le mauvais temps qui a empêché Jean-Louis Etienne et sa fine équipe de rejoindre la station russe de Barnéo, où l’assemblage de la capsule ainsi que la mise en marche de tout l’équipement scientifique, étaient prévus.
Bloqués au Spitzberg une longue attente commence. Les nouvelles sont mauvaises, à Barnéo la piste d’atterrissage s’est fracturée, le bulldozer sensé la réparer est tombé dans une faille…
C’est alors au tour de l’administration russe de s’en mêler : Le pilote de l’Antonov 75, l’avion russe de très grosse capacité qui doit transporter la capsule, est Ukrainien. La base est formelle, il lui faut une autorisation pour atterrir. Ce contretemps ne peut pas être bien long puisqu’il s’agit d’une zone internationale…
C’est avec trois jours de retard, lundi soir, que Jean-Louis Etienne et son équipe ont rejoint Barnéo. Comme si tout ceci ne suffisait pas, leur première nuit à 89 nord, ils la passeront sans chauffage !
Le lendemain, L’équipe met les bouchées double, tout le monde se mobilise et la capsule est finie d’assemblée le mercredi midi. Le temps est très beau : pas un souffle de vent mais tout de même –38°.