Les Expéditions polaires Arctiques / Saison printemps 2005 

 

One World Expedition (Lonnie Dupre & Eric Larsen )

 

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Samedi 4 juin / Les Américains abandonnent
Leur site n'en disait mot mais, entre les lignes, on comprenait depuis une semaine au moins qu'il serait quasiment impossible pour les deux hommes de continuer leur expédition - à moins de mettre gravement en danger leur propre existence.
Les conditions de progression d'une part - une glace à la fois pas assez solide pour skier dessus et trop épaisse pour la traverser avec les traîneaux tranformés en canoë, une dérive qui les a empêchés de progresser, le pack trop fissuré et la venue sans doute précoce de l'été, et un sens des responsabilités de l'autre, tout cela a conduit les deux voyageurs polaires à prendre une sage décision : mettre fin à leur tentative de traversée complète de l'océan Arctique. Ce sont d'ailleurs ces arguments-là que Dupré a avancé pour expliquer, en date du 3 juin, leur abandon. Il ajoute en plus l'épaisseur de la neige qui était tombée sur la banquise les derniers jours ainsi qu'un problème de fuel pour les hélicoptères russes MI8 (il leur en manque paraît-il...) et leur incapacité à voler par temps de brouillard. On comprend les problèmes de météo couplés à ceux de la sécurité, on comprend moins le manque de fuel...
Quoiqu'il en soit, après avoir connu encore quelques solides frayeurs avec des ours polaires qui les ont suivis de près pendant deux ou trois jours (suivant même la trace de leurs skis !!!), les deux hommes ont été récupérés sur la banquise arctique par un MI8 de la logistique Vicaar Agency. Déposés à Stredny avant d'être embarqués pour Khatanga et puis Moscou. Leur position de pick up : 81°53'N / 94°12'E.
Lors du survol de la toundra (au cours du trajet Stredny-Norilsk), le tandem a pu se rendre compte depuis la cabine que les rivières de cette grande plaine étaient maintenant toutes dégelées, ce qui les a conduit à se demander si ils ne constataient pas là, de visu, les effets du réchauffement climatique.
A lire leur dernier communiqué, on apprend qu'ils pensent déjà à une autre grande aventure.

Dimanche 29 mai / Toujours une infernale dérive négative
Les choses ne s'arrangent pas fort pour le team de One World Expedition. Malgré la fait qu'aucun découragement n'est perceptible dans les dispatches de leur site, on ne peut s'empêcher de faire quelques calculs et de se rendre compte que la progresion des deux hommes est toujours lente et plus qu'hasardeuse. Aucune mauvaise préparation en cause, ni un manque de physique chez les deux voyageurs polaires, simplement, une dérive de la banquise qui les fait reculer chaque nuit de la distance qu'ils ont parcourue pendant le jour. Entre le 22 et le 26 mai, ils n'ont fait que 7 km environ et, depuis le 10 mai, soit en 18 jours, ils n'ont progressé que d'environ 68 km vers le Nord.

Une petite digression sur le réchauffement global dans leur dispatche des 27 et 28 mai : comme les rencontres avec les ours sont presque quotidiennes (ou avec des traces du moins, le vendredi 27 mai, un d'entre eux est même venu secouer gentiment de sa papatte la tente dans laquelle les deux hommes dormaient encore), Lonnie et Eric commentent le fait que, dans moins de 50 ans sans doute, la banquise arctique aura disparu et avec elle ces si majestueux mammifères !
Leur position le 26 mai : 81°48,04'N / 96°59,92'E. (D'autres infos sur la carte)

Lundi 23 mai / Ils avancent... mais très lentement !
En quatre jours, plus précisément entre le 19 et le 22 mai, les deux hommes ont parcouru un tiers de degré vers le nord. Ce qui correspond à envrion une trentaine de kilomètres. Voilà en tout cas un point positif ; ils ne reculent plus, ils vont de l'avant et ont maintenant dépassé la latitude du cap Arktichewski. Mais malgré cela, la tâche est toujours aussi difficile : il y a, un jour sur deux, ce qu'en anglais on appelle le "sleet", un fin crachin mêlé de pluie et de fine neige qui gène considérablement la progression. Et il reste également le fait qu'il n'y a pas assez d'eaux libres à leur goût et que lorsqu'il peuvent faire du catamaran en attachant latéralement les deux kayaks, ils doivent pagayer dans une sorte de mélasse qui n'est pas assez liquide pour pouvoir progresser naturellement et sentir donc tous les effets des coups de pagaie dans l'eau et non plus pas assez solide pour qu'ils puissent marcher dessus en toute sécurité. Un autre point positif : le 20 mai, ils ont chaussé pour la première fois leurs skis et rangé du même coup leurs bottines de neige.

Jeudi 19 mai / Tromper le temps, ne pas perdre le moral
Ce début d'expédition est très difficile pour les deux hommes. D'abord, la glace est plus qu'inhospitalière ("Aujourd'hui, écrit Dupré lundi dernier 17 mai, nous sommes tombés à plusieurs reprises tous les deux au travers de cette horrible glace..." - ce qui singifie qu'ils ne peuvent plus pagayer et doivent progresser en tirant les traîneaux...) mais, plus, les efforts qu'ils produisent le jour pour gagner un mile ou deux sont anihilés non seulement par la dérive qu'ils doivent combattre en progressant mais aussi par celle dont ils sont victimes sans s'en rendre compte la nuit. Résultat : 81°31' était leur position le samedi 14 mai (voir ci-dessous), 81° 10' était leur position trois jours plus tard le mardi 17. 72 heures d'efforts - surhumains sans doute - pour se retrouver quelques miles en arrière malgré tout.

Alors pour tromper le moral, ils écrivent des choses intéressantes dans leurs dispatches. C'est ainsi qu'on apprend (le dimanche 15 mai) qu'un professeur en pyscholgie attaché à l'université du Minnesota - Mrs Gloria Leon - est en train de les suivre et d'analyser leurs réactions pour rédiger un rapport sur le stress développé dans des situations extrêmes. En se rendant sur le site de Gloria Leon (http://www.psych.umn.edu/faculty/leon.htm), on se rend compte que d'abord, cette spécialiste n'en est pas à ses débuts en matière de recherche sur le stress des voyageurs polaires (elle a déjà étudié l'expédition composée uniquement de femmes qui a fait une petite traverse de l'Antarctique) et qu'ensuite, le fruit de ses travaux est destiné à préparer les premiers vols habités pour Mars.
Autre communication intéressante du tandem le 18 mai : qui nous montre comment Eric Larsen, pendant que son compagnon fait la tambouille du soir, récolte des échantillons de neige pour le Climate Change Institute de l'université du Maine (voir le dispatche).

 

Samedi 14 mai / Première danse avec un ours
81 31,30 N ; 96 76,40 E, neige molle et fondante
Ecoutez notre rapport audio du jour, qui retrace la première rencontre de Lonnie avec un ours blanc.

Dimanche 13 mai
Vendredi, le 13 - 81 17.56' N ; 96 06,20' E, 6,6° C - Il neige.
Nous étions sur le point d'écrire que la journée d'hier avait été la plus fructueuse en matière de progression depuis notre départ, que nous avions couvert près de 6,5 kilomètres et que nos petits kayaks se comportaient superbement sur l'eau. Or, nous sommes sous la tente après une longue journée de forte tempête de neige et nous venons de vérifier le GPS, pour constater que nous avons en vérité reculé au-delà de notre point de départ de la veille. Nous avons dérivé de près de 400 mètres vers le nord au cours de la nuit et un fort vent du sud a soufflé toute la journée. Tout cela s'explique certainement par le fait que nous sommes un vendredi 13.

Hormis cette mauvaise nouvelle, la journée a été très bonne. A un moment, nous pouvions presque nous imaginer en train de pagayer dans le Minnesota. Nous avons consacré presque tout notre temps à parcourir de grands lacs (d'une largeur pouvant atteindre 800 mètres et beaucoup plus longs). Entre les lacs, naturellement, nous avons dû nous livrer à de pénibles portages. De plus, trouver un endroit où accoster a souvent été pour le moins difficile. Nous avons aussi souvent eu l'impression de couler, ce qui s'explique par notre progression dans de la glace semi-liquide.

Trois phoques nous ont accompagnés dans notre progression pendant une partie de la journée. Ils étaient très curieux et nous semblions les distraire de leurs habitudes. Nous avons continué à tracter les kayaks par relais, ce qui ralentit la progression, mais il est impossible de procéder autrement. C'est l'heure de dormir à présent. Espérons que la dérive s'arrête !

Samedi 12 mai / Allées et venues
81 20,14 ' N ; 96 06.22' E, 9,4° C - Couvert
Il est difficile d'avoir une vue d'ensemble, alors que la glace soumise à pression nous entoure aussi loin que porte le regard. Il n'existe pour nous que deux manières de résoudre ce dilemme : prendre conscience que nous n'en sommes qu'à notre troisième jour de voyage ou grimper sur un morceau de glace élevé. Nous avons fait les deux ! Nous avons assuré la progression par relais de nos traîneaux flottant. La pression est telle qu'il aurait été impossible de procéder autrement. Lonnie a effectué le plus gros du travail, car j'ai fortement souffert de mon « virus russe » ce matin.

Nous progressons lentement, mais en fin de compte davantage vers le nord, après avoir dû obliquer vers l'est. Ce matin, nous étions entourés de gros amas de glace. Ce soir, depuis notre campement, la glace semble légèrement moins chaotique, ce qui nous remonte quelque peu le moral. Aujourd'hui, nous avons franchi 4,5 kilomètres. Ecoutez notre rapport audio pour plus de détails.

Vendredi 11 mai / Sur la glace
81 16,89 'N ; 95 58,94 E, 9,4° C - Couvert
Nous n'aimerions pas revivre la journée d'aujourd'hui. Nous nous sommes battus toute la journée. La trouée au bout de laquelle nous espérions déboucher sur l'eau libre s'est terminée par une surface couverte d'une fine couche de glace. C'est ce que nous redoutions le plus : une glace trop mince pour skier sur sa surface, mais trop épaisse pour la franchir en pagayant. Nous avons consacré presque toute la journée à nous frayer un chemin dans cette surface gelée de 1,6 kilomètre de large sur 4,8 kilomètres de long. Résultat : de très considérables efforts, pour une progression vers le pôle d'à peine 800 mètres en sept heures !

C'est Lonnie qui a en permanence ouvert la voie.

Jeudi 10 mai / Cap Arctichesky, 9,4° C - Ensoleillé
Nous avons progressivement coupé nos derniers liens avec le monde extérieur . La transition a naturellement été progressive, par étapes subtiles. Nous avons d'abord dit adieu au Minnesota, puis à New York et enfin à Moscou. Nous sommes désormais seuls, dans l'Océan arctique.

Il serait faux de dire que la journée n'a pas été chargée en émotions . Il est dur de prendre conscience que l'on abandonne le monde connu derrière soi. Mais nous connaissons néanmoins aussi le monde des glaces. Préparer nos kayaks à affronter l'océan représente pour nous une longue habitude.
Nous avons consacré la journée à progresser par relais . Après toutes nos craintes d'une traversée d'un océan entièrement dégagé, qui aurait pensé que nous serions immédiatement confrontés à de la glace ? La journée a été dure, mais nous avons bien progressé en dépit de la nature du terrain.
Note positive : la tente est bien chaude, même dans les conditions ambiantes . Note négative : Eric (c'est moi) semble avoir attrapé un « virus russe » et est presque privé d'énergie.

9 mai / Sredny, -15° C - Nuageux
Heureusement que nos mères n'ont pas vu l'avion dans lequel nous avons volé aujourd'hui . Plusieurs de ses caractéristiques de sécurité essentielles semblaient - disons - suspectes, de même qu'un membre de l'équipage, qui a décroché une bonbonne d'oxygène de secours de la paroi de la carlingue, s'est mis un masque sur le visage et a plusieurs fois inspiré longuement. L'atterrissage à Sredny s'est déroulé dans des conditions inquiétantes, d'autant que deux épaves d'avion longeaient la piste. Nous sommes néanmoins parvenus sains et saufs à la station météorologique de Golomiannyi, non loin de Sredny, et nous sommes prêts à partir demain matin.

Il semblerait que nous aurons une traversée libre de toute entrave sur quelque cinq kilomètres , ce qui est également une bonne nouvelle. Tout notre équipement est, comme nous, prêt pour le voyage. Pour plus de détails sur notre journée, écoutez notre rapport audio.