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Une découverte qui se fait attendre.
Même s'il a été aperçu de loin, le continent Antarctique ne va pas se livrer de si tôt. Certes, depuis les explorations entreprises par les capitaines de la firme Enderby Brothers -une compagnie britannique de chasse à la baleine et au phoque- et depuis les tentatives de l'officier de marine français Sébastien César Dumont d'Urville pour découvrir enfin ces fameuses Terrae Incognitae, on sait qu'une terre existe bel et bien au sud de la Nouvelle Zélande et au-delà du cercle polaire antarctique ; on sait aussi que de l'activité volcanique est présente dans cette région du monde et que le scorbut peut décimer en quelques jours les forces vives d'un équipage. Mais la certitude que les bouts de montagnes, les roches noires, les parcelles de terres qu'aperçoivent sans cesse les marins et leurs vigies appartiennent au continent tant recherché n'est pas encore affirmée.
Le 21 janvier 1840, po urtant, dans la frénésie de ce qu'ils pensent être un franc succès, les hommes de Dumont d'Urville posent le pied sur un minuscule îlot proche de la côte antarctique et y plantent le drapeau tricolore. Quelques jours plus tard, l'Astrolabe et la Zélée -les deux unités commandées par le marin français- croisent le brick Porpoise que commande l'Américain Charles Wilkes ; Dumont d'Urville sait que les Américains souhaitent, eux aussi, être les premiers à revendiquer la découverte du continent Antarctique. Au sujet de cette rencontre dans les eaux australes, les archives sont contradictoires ; certains écrits affirment que c'est Dumont d'Urville qui s'est enfui à la vue du navire américain, d'autres prétendent, au contraire, que c'est l'Américain qui n'a pas rendu les honneurs au capitaine français. Quoiqu'il en soit, aucune communication n'est échangée entre les navires ; ce signe montre bien l'état d'esprit dans lequel se déroulaient les voyages d'exploration au milieu du siècle dernier. A l'époque, en effet, un véritable vent de folie soufflait sur le récit des grands explorateurs, chacun espérant naturellement pouvoir revendiquer une parcelle de la découverte du grand continent.
Alors ? Doit-on attribuer la découverte du continent au Français Dumont d'Urville ou à l'imposante flotte que commandait l'Américain Charles Wilkes -en tout, six navires avec des missions différentes ? Dans son journal de bord, ce dernier a dessiné avec précision les montagnes qu'il avait vues lors de ses campagnes d'explorations dans les mers australes. "Ce sont sans nulle doute des montagnes qui prouvent l'existence et la position du continent Antarctique", ne cesse-t-il de clamer devant tous ceux qui réclament un supplément de preuves. Les querelles sont à ce point attisées par l'opinion publique que le commandant américain -accusé de mensonge par ses propres officiers- doit passer devant une cour martiale ; les rares compagnons de route qui lui sont restés fidèles doivent jurer sur l'honneur qu'ils ont bel et bien vu la terre que leur "patron" avait proclamé être le Continent Antarctique.
La Grande Barrière de Ross.
Au-delà des querelles, une certitude : la découverte du grand continent blanc commence définitivement à se préciser et les états redoublent d'efforts pour arriver les premiers. En 1839, la British Association for the Avancement of Science associée pour l'occasion à la Royal Society envoie le capitaine anglais James Clark Ross dans l'hémisphère Sud. L'homme connaît parfaitement les régions froides pour avoir fréquenté en compagnie de son oncle -John Ross- les régions arctiques à la recherche du célèbre passage du nord-ouest.
Avec ce voyage, une ère nouvelle commence ; celle qui voit l'intérêt scientifique prendre le pas sur les préoccupations économiques ou territoriales. Le marin britannique est, en effet, secondé par une équipe de botanistes, médecins, et autres naturalistes qui a comme mission de fonder une base de recherches en Tasmanie et d'approcher le plus possible le pôle Sud magnétique. Arrivé sur place (le 16 août 1840) et pendant qu'il surveille les prisonniers en train de construire son observatoire, il a le temps de découvrir dans la presse locale le récit des découvertes de ses deux prédécesseurs, Wilkes et Dumont d'Urville. Eux aussi, ont cherché le pôle Sud magnétique ! Or ce terrain, Ross le considère comme une chasse gardée ; irrité par ces lectures, il dédaigne même de remercier Wilkes qui, pourtant, lui a laissé de précieux renseignements sur la route qu'il fallait suivre. Et, lorsque, quelques mois plus tard (en novembre 1840), l'expédition reprend la mer à bord de ses deux bateaux, l'Erebus et le Terror, son chef décide d'exercer le droit, tel que le gouvernement de sa Gracieuse Majesté lui a accordé, et choisit seul son chemin d'approche du continent Antarctique ; c'est ainsi que Ross opte pour un méridien plus oriental, ne suivant en cela l'exemple de personne.
Même si son cap fait plus d'ouest, le navigateur londonien n'échappe pas au sort de ceux qui se sont aventurés de ce coté du continent ; il se trouve en effet rapidement en présence d'une infranchissable banquise qu'il décide de longer vers l'ouest. Mais Ross, peut-être plus que quiconque, est taraudé par l'esprit de découverte ; et, peut-être plus que quiconque, a-t-il envie d'établir un nouveau record de latitude. Dix-huit jours après avoir quitté la Tasmanie, l'Erebus et le Terror piquent au sud et s'enfoncent dans un enchevêtrement de blocs de glaces, de banquises, d'icebergs, de glaces molles et d'îlots fracassés ; en bref, ils forcent la banquise et, deux jours plus tard, ayant toujours fait route au sud, se trouvent à nouveau en pleine eau libre. Le moment est historique : Ross vient de découvrir la mer intérieure à laquelle son nom est attaché. Continuant sa route, Ross plante l'Union Jack sur l'île de la Possession, puis sur l'île Franklin. Mais l'expédition n'est pas au bout de ses surprises : le 28 janvier, les équipages aperçoivent, à quelques milles seulement du bateau, une montagne volcanique active qui culmine à plus de 3.000 mètres ; Ross la baptise Mont Erebus. Poussant plus loin encore l'exploration, Ross se rend compte qu'il a devant lui une ligne de glaces continue qui semble s'élever au fur et à mesure qu'on s'en approche. C'est une véritable falaise de glace plus haute que la mâture de son bateau et parfaitement plate sur son sommet ; le capitaine donne à ce rempart naturel le nom de Barrière Victoria. Plus tard, cet infranchissable obstacle deviendra la fameuse barrière de Ross.
Après ces importantes découvertes, le marin britannique restera encore trois longues années dans l'hémisphère Sud, hivernant soit en Tasmanie soit aux Falkland. A bord de ses deux bateaux l'Erebus et le Terror, il retournera deux fois dans les eaux antarctiques : la première, sur les lieux de sa découverte pour tenter de trouver quand même une faille qui permettrait à ses bateaux de s'avancer dans le mur de glace et l'autre dans la mer de Weddell pour tenter une dernière fois de battre le record de latitude sud. Mais Ross n'a pas de chance ; à chaque fois, la banquise se dresse devant ses bateaux, lui barrant ainsi définitivement la route du continent.
L'Antarctique et les baleines...
Où en sont les découvertes antarctiques en cette seconde moitié de XIXe siècle ? Outre le fait que l'on parle beaucoup de la grande barrière de glace découverte par Ross, on ne sait toujours pas ce qui se cache derrière. Comme on ignore également tout de la zone qui doit se situer au-delà des 74° de latitude sud atteints par Weddell en 1823. Certes, depuis maintenant plus d'un siècle, les navigateurs, explorateurs et autres baleiniers ont quasiment délimité les contours géographiques du continent. Mais la calotte sud du globe reste fermée et secrète. Se présente-t-elle sous la forme d'un archipel ? Qu'en est-il de la terre en cette région du globe ? Le pôle Sud est-il situé sur de la glace ou sur de la terre ferme ? Mis à part les manchots, les phoques et les baleines, y a-t-il de la vie là-bas? Ces interrogations, pourtant, ne passionnent plus comme par le passé. Ces terres sont décidément trop ardues à coloniser. Et, vers le milieu du siècle dernier, faute de budgets sans doute, faute aussi de découvertes spectaculaires, l'intérêt pour l'exploration de l'Antarctique diminue. Il faut ajouter que, dans les années 1850, le commerce des produits de la baleine connaît un sérieux ralentissement en raison de la raréfaction des troupeaux et de l'apparition du pétrole qui, dorénavant, remplace la graisse animale dans les lampes d'éclairage.
Pourquoi les recherches scientifiques prennent-elles donc le relais ? Parce qu'il est naturel qu'après avoir sillonné les mers du monde à la recherche de terres nouvelles, l'homme se pose la question de savoir ce que tous ces océans renferment comme richesses. Et parce que l'européen souhaite établir des contacts réguliers avec ceux qui se sont installés sur les terres lointaines qu'il a colonisées. A cette époque, le câble télégraphique sous-marin est le seul outil capable de communiquer entre deux continents. C'est ainsi qu'en 1851, est posée la première liaison physique France-Angleterre ; quelques années plus tard, un câble sera déployé sur la plage des îles Skellig (au sud-ouest de l'Irlande) et déroulé sur le fond de l'Atlantique avant de ressurgir, 4.000 kilomètres plus loin, sur une plage de la Nouvelle Angleterre. Avant cette période, on s'était certes intéressé au phénomène des marées et de la salinité des océans ; mais cette fois, le coût de la fabrication et de la pose de tels câbles obligeait que l'on étudie de près les fonds sous-marins et les eaux avant de se lancer dans pareille aventure. C'est dans ce contexte que s'est développée l'océanographie. Celle-là même qui va s'en aller -dans les années 70- explorer les fonds antarctiques.
Une première expédition est donc organisée par l'Amirauté britannique sous la direction de sir Charles Wyville Thompson : le trois mâts Challenger (une ancienne corvette de guerre reconvertie en bateau océanographique), qui quitte Portsmouth le 21 décembre 1872, doit sillonner les océans du monde et particulièrement les eaux de l'hémisphère Sud pendant 4 ans. Equipé d'instruments scientifiques en tous genres, le navire - qui sera le premier voilier-vapeur à couper le cercle polaire antarctique - parcourt plus de 70.000 milles marins sur toutes les mers du monde: les dizaines de chercheurs qui se trouvent à bord sondent le plus souvent possible, effectuent des prises d'échantillons, de sédiments et d'eaux, récoltent aussi des animaux marins. Ils mesurent les températures de l'eau. Ce qu'ils rapportent de leur passage dans l'Antarctique ? La certitude que le continent existe.
Les sources suivantes ont été utilisées pour rédiger ces textes :
Antarctique, la grande histoire des hommes à la découverte du continent de glace, Sélection du Reader's Digest.
Antarctica, the extraordinary history of man's conquest of the frozen continent, Reader's Digest Association Limited, Australia, 1985
The Explorations of Antarctica the last unspoilt continent, G.E. Fogg & David Smith.
Quinze mois dans l'Antarctique, Adrien de Gerlache.
Victoire sur la nuit antarctique, Adrien de Gerlache.
L'Odyssée de l'Endurance, première tentative de traversée de l'Antarctique, Sir Ernest Shackleton.
Explore Antarctica, Louise Crossley.
Au coeur de l'Antarctique, Vers le pôle sud, 1908-1909, Sir Ernest Shackleton.
Explorateurs et Explorations, Raymond Cartier. |