Un excellent site consacré
aux plus grands
explorateurs
de l'Antarctique

Quelques sites
consacrés à
Sir Ernest Shackleton

Quelques sites
consacrés à
Robert F. Scott

Quelques sites
consacrés à
l'histoire générale
de l'exploration
de l'Antarctique

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les régions polaires Antarctiques | Brève histoire de l'Antarctique

Les premiers prisonniers de l'Antarctique (Page 2)



Maladie, dépression, schizophrénie, démence et mort...

Au début de l'hivernage, les préparatifs pour la grande nuit polaire et les travaux effectués par les équipes scientifiques font presque oublier la décision prise ; les uns observent de près la banquise, les autres font connaissance du krill, Danco prend, chaque jour, trois séries de mesures magnétiques tandis que Dobrowolski scrute le mouvement et la nature des nuages. "Le fait que nous ayons hiverné, avancera plus tard Gerlache, aura au moins permis à la science d'avoir désormais accès aux observations météorologiques qui ont été faites d'heure en heure et durant une année entière, soit sur un cycle complet de 365 jours".

Mais, au fur et à mesure que s'installe l'angoissante nuit polaire, l'atmosphère à bord de la Belgica se détériore. Les animaux, qui distraient de temps en temps, désertent ce bout de banquise pour aller vivre plus au nord, le jour s'éteint, le soleil disparaît... Pour passer le temps, lorsqu'ils ne travaillent pas, les hommes raccommodent leurs chaussettes, cousent des boutons, font une balade sur la glace, chaussent les skis, s'adonnent aux cartes, organisent des concours (voir encadré), dessinent des caricatures... Le botaniste devient cordonnier, l'assistant en météorologie, qui déteste faire la lessive, attend la pire extrémité pour laver son linge qu'il suspend alors dans la mâture en espérant que la neige fera le boulot à sa place. On joue aussi de l'accordéon, on se raconte des histoires, on lit beaucoup - le roman d'Alexandre Dumas, les Trois Mousquetaires, étant, dixit Gerlache, le livre favori des hommes d'équipage.
Malgré cela, la banquise est là qui rappelle sans cesse la situation : par moment, les pressions de la glace sont si fortes qu'elles menacent de broyer la coque du navire. La nuit, alors que la température descend facilement au-dessous de 20 ou 25°C, de sourds craquements se font entendre. Et chacun de penser à l'éventuel abandon du trois-mâts.

"Nos traits sont tirés, des rides les sillonnent, notre teint est verdâtre, nos yeux ternes et sans vie ; il n'a pas fallu plus de 1.600 heures de nuit ininterrompue pour faire de nous des vieillards..."
(Georges Lecointe)

Sur ces entrefaites, un des membres de l'état-major, le Belge Emile Danco, tombe malade : il a de fréquentes crises d'étouffement et l'affection cardiaque dont il souffre devient, chaque jour, plus inquiétante. Un jour, le docteur Cook vient trouver Gerlache pour lui dire que Danco est condamné mais qu'heureusement, il ne se doute de rien. Plusieurs semaines vont encore se passer dans une atmosphère qu'on devine insoutenable. Pour plus de confort, on a allongé Danco sur une couchette dans le carré ; le reste de l'équipage est ainsi témoin de sa lente agonie alors que le malheureux tentera jusqu'au dernier jour de faire preuve de jovialité en expliquant à tous, par exemple, qu'il veut être le premier à crier terre lorsque la Belgica sera en vue des côtes de la bonne vieille Europe. Le 7 juin à 11 heures, un cortège funèbre s'avance sur la banquise en tirant le traîneau sur lequel Danco repose dans un linceul en toile de voile. La veille, l'état-major c'est concerté pour savoir s'il n'était pas préférable d'embaumer le mort jusqu'au retour. Mais il fut décidé de l'immerger. Arrivé au bord du trou creusé à cet effet dans la glace, Gerlache prononce quelques mots d'adieu avant que l'on ne livre la dépouille mortelle à la banquise d'albâtre dont Danco rêvait tant.

La mort du lieutenant d'artillerie plonge la Belgica dans une profonde apathie. Les hommes ne se parlent plus et tombent malades les uns après les autres. Le pouls d'Arctowski est trop faible et Gerlache se plaint de persistants maux de tête ; il croit être atteint de scorbut. Le 4 décembre, il rédigera, avec son second, le testament de l'expédition. Ce dernier n'est pas au mieux non plus ; ses chevilles et ses mains enflent dangereusement, ce qui l'incite à dicter ses dernières volontés à Amundsen. Arctowski et Racovitza, eux, souffrent de graves maux d'estomac. Un matelot quitte régulièrement le bateau pour n'y revenir qu'en pleine nuit ; il passe par des crises de démence. Un autre commence à se méfier de tout le monde et déclare haut et fort que ses camarades en veulent à sa vie : la schizophrénie fait son oeuvre... Un troisième prétend soudain ne plus pouvoir parler et ne plus rien entendre ; il s'agit d'un des symptômes de l'hystérie. Enfin, un mal général ronge l'équipage : les muqueuses se décolorent et un teint jaune verdâtre vient teinter les visages. "L'anémie polaire a laissé sur nous les traces de profonds ravages, écrit Lecointe. Nos traits sont tirés, des rides les sillonnent, notre teint est verdâtre, nos yeux ternes et sans vie ; il n'a pas fallu plus de 1.600 heures de nuit ininterrompue pour faire de nous des vieillards..." En plus de cela, il neige abondamment sur le trois-mâts, il fait froid et, deux jours sur trois, on ne voit rien à cause d'un persistant brouillard...
Cook décide alors de prendre les choses en main et de faire manger à l'équipage de la chair crue de manchot et de phoque. "Du phoque, ah non, par exemple quelle horreur ! Jamais de la vie", s'exclame Gerlache qui a une répulsion pour ces animaux mais qui finit par s'exécuter comme tous les autres. A propos de cett péripétie, le chef d'expédiition note : "A la fin de l'hiver, nous pûmes capturer quelques manchots et des phoques, dont la chair fraîche vint reposer nos estomacs fatigués. Les malades en mangèrent même régulièrement trois fois par jour, sur l'ordonnance du médecin. Nous avions fini par surmonter notre répugnance du début pour cette chair huileuse, qu'il faut littéralement calciner afin d'en chasser l'excès de graisse."


Explosifs et huile de bras : il faut à tout prix sortir de là.
Avec le retour des premières lueurs de l'été austral, les mois passent plus vite. Mais, en décembre, bien que des espaces d'eaux libres se forment ci et là dans les parages de la Belgica, pas une de ces clairières n'est située assez près du navire pour entrevoir la possibilité de creuser le moindre chenal. Le 22 décembre, le capitaine décide de mettre les machines en route. Au cas où... Le 7 janvier, alors que l'inactivité est devenue insoutenable à bord, Gerlache décide de s'attaquer tout de même à la glace, une clairière d'eaux libres s'étant, par chance, rapprochée du trois-mâts à une distance jugée suffisamment réduite (600 mètres environ) pour commencer les travaux. Jusqu'à la fin du mois, les hommes de la Belgica vont travailler jour et nuit. A coups d'explosifs (ce qui ne marche pas très bien parce que la glace, au lieu d'exploser en blocs, est réduite en bouillie et se reforme rapidement), de scies, de cordes et de savants quadrillages de la banquise. Les hommes rivalisent d'ingéniosité pour trouver la meilleure ligne de coupe, pour arriver à découper une épaisseur plus importante que la longueur des scies et inventer le moyen le plus astucieux pour faire disparaître les blocs découpés. Puisqu'il s'agit d'un travail qui occupe les hommes 24 heures sur 24, il faut se distraire tout en sciant. Mais tout Belge n'a-t-il pas le don de raconter des histoires . "Oui, écrit Lecointe, pendant 35 jours, Somers a parlé chaque jour durant neuf heures consécutives, et cela, avec beaucoup d'humour, je dois le déclarer, et pour notre plus grande distraction à tous..."
Début février, alors que les hommes entrevoient le bout du chenal, une double catastrophe se produit : son embouchure s'obstrue en permanence et sa largeur se rétrécit sans cesse de telle sorte qu'il est bientôt trop étroit pour que la Belgica s'y engage... Un mois de travail anéanti en quelques heures !
Foudroyés par ce nouveau coup du sort, Gerlache et ses hommes ne voient désormais plus d'autre issue que de préparer les canots du bord pour une fuite en avant par la mer. Direction plein nord, la Terre de Feu et le cap Horn. Mais avant de s'embarquer dans une si périlleuse aventure, il faut à tout prix tenter une dernière fois la solution du chenal. Et derechef, les marins s'escriment avec la scie pour se désenclaver et manient le piquoir pour guider les blocs vers les eaux libres. Puisqu'il s'agit de la solution de la dernière chance, pourquoi ne pas joindre aux efforts des hommes la puissance des machines du navire ? Après tout, la Belgica, avant qu'elle ne rallie Anvers, avait subi force travaux de renforcement de la coque dans un chantier spécialisé en Norvège, des feuilles de plomb ayant été fixées sur l'étambot et la partie immergée du gouvernail. Le 14 février, c'est une première délivrance ; la Belgica parvient à faire éclater les glaces qui bouchaient l'entrée du chenal. Maintenant, le trois-mâts barque vogue à nouveau dans son élément naturel. Il faut encore pourtant sortir de la clairière, passer de lacs en lacs et rejoindre l'océan qui, vu le dégel progressif, ne doit plus être très loin. Gerlache et ses compagnons auront une dernière période de frayeurs lorsque, arrivés en vue de la ligne bleue-noire sur l'horizon qui annonce l'ultime délivrance, la banquise va bouger dangereusement aux abords mêmes des flancs du navire menaçant à tout moment de le disloquer.

Enfin, le moment tant attendu arrive ; le 14 mars à 2 heures du matin, les derniers champs de glaces cèdent et la Belgica vogue en pleine mer, définitivement libre de toute entrave. Sept mois plus tard, après avoir pris la décision de ne pas poursuivre l'expédition, Gerlache remontait triomphalement son trois-mâts dans l'estuaire de l'Escaut. L'hivernage de l'expédition aura duré un peu plus d'un an. Pendant ce temps, sans faire le moindre mille ni bouger d'un pouce de son étreinte glaciaire, sans moteur et sans erre apparente, la Belgica aura parcouru, sous l'effet des dérives de la banquise, la bagatelle de 1.700 milles nautiques ; quant au navire, il sortira du pack à 335 milles au nord-ouest de la position observée le jour où l'étreinte de la banquise les a surpris.


Une historique "première".

Au-delà de l'exploit historique, le voyage de la Belgica se distingua des autres entreprises antarctiques par son caractère exclusivement scientifique. C'est la première fois dans l'histoire, en effet, que la notion même d'Antarctique a été aussi sérieusement associée à la science. En cela, Gerlache fut un pionnier. Un détail montre à quel point la priorité scientifique de l'expédition prenait le pas sur toute autre considération ; parce que les réserves de charbon avaient été largement entamées lors du séjour dans la banquise, la Belgica dut rentrer à la voile en Europe. Ce qui incita Adrien de Gerlache à renvoyer directement ses collaborateurs Racovitza, Arctowski et Dobrowolski par une ligne directe de bateau à vapeur afin qu'ils ne perdent pas de temps et qu'ils puissent se mettre à dépouiller leurs observations scientifiques dans des délais les plus brefs possible.

Parmi les résultats scientifiques obtenus suite à cette première expédition belge dans l'Antarctique (1897-99), il faut citer, outre les relevés océanographiques (bathymétrie, densité et température des eaux), effectués à bord de la Belgica dans le détroit de Drake qui ont prouvé l'existence d'une fosse océanique profonde de 4.000 mètres entre l'Amérique du Sud et la péninsule Antarctique, la découverte de nombreuses espèces nouvelles appartenant à la faune et la flore marine et terrestre.


Détroit de Gerlache, île Anvers, monts Solvay et compagnie...

En ce temps-là, baptiser l'une ou l'autre terre revenait au chef d'expédition. Adrien de Gerlache pouvait donc distribuer les palmes comme il l'entendait. Il préféra cependant en référer à ses collaborateurs et discuter avec eux de la hiérarchie des noms à donner à leurs découvertes. Il faut préciser que baptiser une terre ne se faisait pas au moment de son exploration, mais bien plus tard, lorsqu'on était en possession de toutes les données permettant de faire coïncider le mieux possible le lieu avec le personnage choisi pour lui donner un nom. C'est donc une fois que les inventaires des terres à baptiser furent dressés que Gerlache se mit à la tâche. Pour cela, il consulta Lecointe, Racovitza, Cook, Arctowski et Amundsen ; c'est qu'il fallait éviter les oublis et s'efforcer de distribuer les noms des protecteurs de l'expédition de manière à proportionner l'importance des lieux géographiques à la qualité des services rendus par eux avant le départ en Europe. La préséance, en tout cas, fut donnée à ceux qui payèrent de leur vie leur participation à l'aventure : Terre de Danco, île Wiencke. Puis, vinrent les noms des trois provinces qui avaient été les partenaires les plus fidèles de Gerlache : île Brabant, île Anvers et île Liège. Quant aux montagnes bordant le détroit, elles furent baptisées, Solvay, Osterrieth (la généreuse "mère de l'expédition" comme l'appelle Gerlache) et Brugmann. C'est au retour que ses compagnons ont proposé à la Commission mise sur pied pour mettre en valeur les récoltes scientifiques de substituer au nom Belgica attribué pendant le voyage au détroit qu'ils avaient découvert celui de son commandant, Adrien de Gerlache.

Ce fut Emile Racovitza, le naturaliste de l'équipe qui, le premier, rapporta la présence sur le continent de petits invertébrés terrestres inattendus à ces latitudes parmi lesquels la Belgica antarctica, un petit moucheron aptère de maximum 12 mm de long. La faune de poissons et d'invertébrés des fonds marins fut aussi, pour la première fois, échantillonée par dragages et chalutages jusqu'à 600 mètres de profondeur. Dans son livre Au Pays des Manchots, le commandant en second de l'expédition, Georges Lecointe, résume les résultats scientifiques (2) : "Au point de vue géographique, écrit-il, l'expédition a étudié la région située au nord de la terre de Graham. Elle y a découvert un vaste détroit -le détroit de Gerlache- dont les côtes ont été relevées avec soin et sur lesquelles vingt débarquements ont été opérés. ... La géologie a recueilli une riche collection d'échantillons et des renseignements importants sur les glaciers. L'astronomie et la physique du globe ont été l'objet de notre attention ; nous avons notamment tracé avec exactitude les courbes relatives au magnétisme terrestre, courbes qui pour cet endroit étaient dessinées de façon hypothétique. La météorologie s'est enrichie des observations qui furent faites, pour la première fois dans ces régions, d'heure en heure et durant une année entière. Les aurores australes, les phénomènes optiques de l'atmosphère, les nuages, la neige et le givre ont été étudiés d'une façon suivie. Avant l'expédition belge, on ne connaissant que très imparfaitement la flore et la faune terrestre antarctiques, et nous sommes les premiers qui ayons rapporté des échantillons de la faune marine qui vit au-delà du cercle polaire austral. Les collections comprennent 1.200 numéros de zoologie et 400 de botanique, -encore ces numéros ne représentent-ils que des catégories, le nombre des individus étant bien plus considérable. La physiologie humaine a pu s'enrichir d'études, sur nature, des phénomènes qui résultent pour l'homme d'un séjour prolongé dans ce climat rigoureux."
Dans la monographie qu'il a consacrée en 1936 à Adrien de Gerlache (3), Charles Pergameni, archiviste de la ville de Bruxelles, précise qu'en ce qui concerne les sciences biologiques, les collections botaniques rapportées de l'Antarctique et de la Terre de Feu comprennent 55 espèces de lichens et 27 espèces de mousses, au lieu des trois seules que l'on connaissait jusqu'alors. Gerlache, lui, précise dans son livre Quinze mois dans l'Antarctique que, si les nombreux sondages effectués au cours de l'emprisonnement dans la banquise prouvent que le trois-mâts belge était effectivement dans les parages des terres antarctiques, ils ont aussi fait rejeter plus au sud les limites que, jusque là, explorateurs et géographes avaient assignées au continent. Le lieutenant de marine insiste également sur le fait que l'expédition belge devait être considérée, vu le manque de moyens dont elles disposait comme une reconnaissance d'avant-garde. Rien de plus. Il comparait, en effet, souvent l'expédition anglaise du Discovery, partie de Cowes en 1901, qui avait bénéficié d'un crédit de 1.750.000 francs (dont 500.000 francs de souscription publique) ou bien celle du navire allemand Gauss, qui disposait de moyens financiers plus importants encore, à l'expédition de la Belgica, qui, elle, n'avait coûté guère plus de 400.000 francs !

Au retour de l'expédition, il fut créé par arrêté royal une Commission de la Belgica composée des membres de l'état major scientifique de la Belgica et de membres de l'Académie Royale afin de choisir quatre-vingt savants belges et étrangers qui allaient devoir étudier scrupuleusement les rapports et les échantillons scientifiques rapportés par l'expédition.
Précisons enfin un aspect des choses qui, à l'époque, parlait encore au coeur des citoyens belges : l 'aventure de la Belgica a fait connaître la Belgique dans le monde entier et a montré à tous les capacités d'une petite nation. Elle a eu le mérite de porter au-delà de nos étroites frontières la notion selon laquelle notre pays, s'il pouvait s'investir dans des opérations commerciales de grande ampleur comme la colonisation du Congo, était également capable de travailler avec désintéressement au service de la science.


 

 

(1) Au Pays des Manchots, récit du voyage de la Belgica, George Lecointe, Société Belge de Librairie, Oscar Schepens & Cie, Editeurs, Bruxelles, 1904, p 350 et 351
(2) Adrien de Gerlache, pionnier maritime, 1866-1934, Charles Pergameni, Bruxelles, Editorial-Office, 1936, p 60 à 64
(3) Initialement prévu pour effectuer des croisières polaires, le Polaris fut finalement acheté par Ernest Shackleton pour son expédition antarctique de 1914 et devint l'Endurance.