Les régions polaires Arctiques | La saga de l'Arctique (page 1)

2 / 1895 - 1926 : Nansen, Peary Cook et les autres (page 2)

1893 - 1896 : Fridtjof Nansen, le Fram et la dérive des glaces
L'aventure du Fram prend racines dans la découverte, en 1883, de débris et de notes signées De Long sur la côte orientale du Groenland. Sachant que la Jeannette a coulé au Nord des îles de la Nouvelle-Sibérie, Le Norvégien Fridtjof Nansen en tire la conclusion qu'il doit exister un courant qui part de l'océan glacial de Sibérie et traverse le bassin polaire avant d'atteindre l'Est du Groenland. Et puisque le monde scientifique reste perplexe, ce conservateur du musée d'Histoire naturelle de Bergen décide d'en faire lui-même la démonstration. C'est dit : il se laissera enfermer par les glaces et se laissera patiemment porter à proximité directe du pôle. Reste qu'une telle expédition coûte cher. Or un inconnu n'a aucune chance de
trouver la moindre subvention. Notre docteur en sciences s'emploie donc à accéder à la célébrité en s'en allant traverser le Groenland. Objectif atteint en 1888. Du coup, les capitaux affluent de tous les coins de
Norvège. Gouvernement, parlement, roi Oscar II et commerçants fortunés : tout le monde y va de sa contribution. De quoi financer la construction du Fram ("en avant"). Ce bateau très spécifique s'apparente à une sorte de plate-forme dont les parois doublées et la conception toute en rondeur doivent faire échec à la pression de la glace.
Le 24 juin 1893, c'est le grand départ pour l'endroit où, douze ans plus tôt, la Jeannette s'est retrouvée immobilisée par la banquise. L'hiver tardif permet au Fram de remonter vingt milles plus au nord. Mais le 25 septembre, le voilà à son tour enserré dans la banquise. Pour deux ans, comme prévu ? Non, pour trois longues années. Car la dérive Nord est moins rapide qu'initialement escompté. En outre, elle se déplace en zig zag, ce qui ralentit encore le mouvement.
Autre impondérable : le Fram ne dépasse finalement pas le 84e degré de latitude nord, forçant Nansen - en mars 1895 - à quitter le navire avec un compagnon (Johansen) pour parcourir 777 kilomètres à pied. En route vers le pôle. Les deux Norvégiens atteignent le 86° parallèle. Ils le dépassent même, battant par la même occasion tous les records de l'époque. Mais la glace se fait de plus en plus chaotique. Et les chiens, un à un, meurent d'épuisement. La mort dans l'âme, il faudra se résoudre à faire demi-tour.
D'échec global, pourtant, il ne sera pas question. Car le Fram, lui, a poursuivi son périple avant de se dégager de la banquise, puis de gagner le Spitzberg groenlandais. De quoi confirmer, en cette année 1896, la théorie de Nansen. A 36 ans, l'homme entre dans la légende...

Salomon Andrée et l'Oern tentent vainement la voie des airs
Retour en 1895. Le Suédois Salomon Andrée prévoit de rallier le pôle Nord à bord de l'Oern, un gigantesque ballon gonflé au gaz auquel est suspendu une nacelle aménagée avec un coin-cuisine et une chambre à coucher. Avec ce matériel financé par le roi de Suède, par Alfred Nobel et par un richissime
baron répondant au nom de Dickson, il est prévu de couvrir en moins de deux jours les 1.200 kilomètres qui séparent le Spitzberg (Groenland) de l'objectif polaire. Mais les vents ne sont pas favorables. Le projet est donc postposé d'un an.
Parti, cette fois, de l'île des Danois avec deux compagnons, notre dessinateur industriel payera au prix fort l'imprévoyance découlant de son caractère optimiste. Le deuxième jour, l'Oern laisse son empreinte dans la glace tous les cinquante mètres. Le lendemain, cette progression par bond se mue en un chemin de croix rampant. Puis, le dirigeable s'immobilise irrémédiablement alors que les deux tiers du trajet restent à couvrir. Les trois membres de l'équipage tentent bien de rejoindre la terre la plus proche (François-Joseph), à 350 kilomètres de là. Mais le froid aura raison de leurs efforts. On retrouvera trente ans plus tard un trio... qui n'avait même pas jugé utile d'emporter le moindre manteau de fourrure !

Roald Amundsen : triomphes et tragédie
En 1903, Roald Amundsen se fixe un délai maximal de cinq ans pour mener à bien un voyage qui doit lui permettre, d'une part, d'effectuer des mesures scientifiques au voisinage du pôle magnétique et, d'autre part, d'inaugurer le passage dit du Sud-Ouest, jusqu'au détroit de Béring.
Son phoquier, le Gjøa, n'est pas tout récent, certes, mais peut se prévaloir d'une solidité d'autant plus convaincante que la coque a été sensiblement renforcée en prévision de l'expédition. Sept hommes sont du voyage, avec, au fond des cales, cinq années de vivres, le combustible du moteur, six chiens de traîneau et du matériel de rechange.
En route pour le Groenland et, de là, pour Godhavn, où on refait le plein de victuailles et où on embarque dix autres chiens. Le 20 août, le Gjøa pénètre dans le détroit de Lancaster. Et le 12 septembre il mouille face à la terre du Roi Guillaume. C'est le premier des deux hivernages qui seront finalement consacrés à des observations magnétiques, météorologiques, astrologiques, zoologiques, géographiques et
anthropologiques.
Le 13 août 1905, le bateau appareille. Bientôt, il passe le cap Sud-Est de l'île Victoria, soit le point extrême jamais atteint par un navigateur (Collinson en 1850). Et au bout du compte, le passage est franchi. Le plus dur semble fait. Pourtant, il faudra encore composer avec un troisième hivernage (forcé par l'arrivée brutale des grands froids) et avec un impitoyable ouragan avant qu'un Gjøa aux multiples avaries colmatées tant bien que mal ne s'en vienne enfin franchir le détroit de Béring. Nous sommes le 30 août 1906.
Si l'heure d'une retraite bien méritée a sonné pour le vaillant phoquier, son propriétaire, lui, n'a pas fini de défier le froid. En 1918, le protégé de Nansen projette d'abord d'atteindre le pôle Nord en se laissant dévier par le courant. Mais son nouveau bateau, le Maud, est bloqué par les glaces. C'est l'échec.
En 1921, il double la mise en abandonnant le Maud au capitaine Wisting pour pouvoir, de son côté, rallier le pôle en avion, à partir de l'Alaska. Mais le navire manque d'être écrasé par les glaces tandis que l'aéronef brise son train d'atterrissage au retour d'un vol d'essai. Encore un (double) revers. En 1925, une deuxième tentative aérienne trébuche sur l'obstacle d'un problème mécanique. Nouveau fiasco.
Amundsen a-t-il a épuisé le quota de réussite que lui avait réservé le destin ? Non. En 1926, il survole enfin le pôle grâce au Norge, un dirigeable conçu et dirigé par un ingénieur en aéronautique, le colonel
Umberto Nobile. Une jolie performance exploitée à la fois par l'Italie fasciste et, à titre personnel, par l'officier transalpin. Ce qui aura pour effet de refroidir considérablement les relations entre les deux initiateurs du projet.
Pourtant, celui qui vient d'être promu général par Mussolini en veut plus. En 1928, le voilà donc reparti sans son ancien compagnon de route à bord de l'Italia. Ce dirigeable, qui se démarque du Norge autant par sa taille que par les origines exclusivement nationales de son financement et de son équipage, atteint à nouveau le pôle. Mais au retour, l'affaire tourne mal. Le géant des airs écrase sa nacelle contre la banquise avant de disparaître, à tout jamais, dans le ciel. Huit hommes sur seize survivent à l'accident. Six d'entre eux, dont Nobile, seront ramenés sains et saufs par des équipes de secours. Amundsen, faisant fi de toute rancoeur, s'est porté volontaire pour prendre la tête de l'une d'entre elles. Il ne reviendra jamais de cet
ultime voyage...

Robert Peary et Frederick Cook : les caprices de la gloire
Plus que tout autre, Robert Peary put méditer sur les caprices du destin, lui qui se trouva tour à tour repoussé, adulé, puis à nouveau éconduit par les honneurs.
L'Américain, pourtant, ne ménagea jamais ses efforts. Sa vie toute entière fut consacrée à l'assaut du pôle Nord. Prise de contact avec le Groenland (en 1886), expédition - poursuivie en dépit d'une jambe brisée par un retour de barre - jusqu'à l'extrême-Nord de ce même territoire (en 1891/1892), raid démontrant que le "pays vert" est une région insulaire - et non pas un continent se prolongeant jusqu'au pôle - (en 1893) et entraînement de 800 kilomètres à travers la même entité géographique (en 1894) servirent d'apéritifs à une première tentative de conquête du pôle Nord.

Qui a le premier atteint le pôle Nord ?
Cook (à gauche) ou Peary (à droite) ?
La controverse dure depuis un siècle.
antarctica.org fait le point


En 1898, notre ingénieur de la marine U.S. embarque en effet sur le bateau Winward son ami et homme de main noir, nommé Henson, ainsi que des Esquimaux et leur famille qui, en l'aidant à chasser le boeuf musqué et le renne, lui permettront de persister quatre ans dans son entreprise conquérante. Le gel
de ses orteils se paie-t-il d'une amputation ? Peu importe ! Un an plus tard, notre barbu récidive. Sans pouvoir, malheureusement, aller au-delà du 84e degré.
Mais impossible n'est pas Peary. Après deux années sur place, c'est reparti en 1902, toujours avec le Winward, puis en 1905, avec le Théodore Roosevelt. Nouveaux échecs. Il faudra attendre 1908 pour que soit lancée, avec ce même Théodore Roosevelt, une ultime tentative qui sera, elle, couronnée de succès (le 6 avril 1909). Avec son attelage, celui dont Nansen disait qu'il était "le meilleur de tous ceux qui s'efforcent d'atteindre le pôle" tourne autour de son objectif pour s'assurer qu'il n'a pas commis d'erreur. "Pas de doute, pense-t-il. Le grand jour est arrivé !" Il relève sa position, hisse le drapeau de l'Oncle Sam et glisse entre deux rochers une bouteille qui contient un document annonçant la prise de possession "de toute la région et des régions adjacentes pour et au nom du président des États-Unis d'Amérique". Puis, il prend une photo de ses cinq compagnons de voyage : le fidèle Henson et quatre Esquimaux. Une petite trentaine d'heures plus tard, le voyage de retour est entamé. Il ne durera que seize jours, soit vingt et
un de moins qu'à l'aller. "Grâce à la facilité générée par le recours à la piste tracée pour venir", expliquera plus tard Peary.
En attendant, le 6 septembre, l'homme envoie aux États-Unis un télégramme au contenu euphorique : "Bannière étoilée clouée au pôle Nord". Il ignore encore qu'il y a cinq jours est tombé à New York un autre câble selon lequel un compatriote, Frederick Cook,... aurait atteint le pôle Nord le 21 avril 1908, c'est-à-dire un an plus tôt ! Triomphe il y aura donc bel et bien. Mais il sera réservé à un ancien ami.
Celui qui a soigné sa jambe brisée durant l'expédition de 1891/1892. Celui qui est ensuite allé rouler sa bosse dans l'Antarctique, à bord du Belgica, avec le baron de Gerlache.
La communauté scientifique, cependant, est déçue par le manque de preuves. L'Université de Copenhague, elle aussi, réclame des éléments plus probants. Cook y va de promesses qui ne seront jamais honorées. Et le fait de se retrouver convaincu de mensonge pour avoir revendiqué la conquête des 6.187 mètres du mont McKinley, en Alaska, alors qu'il s'était en fait arrêté à mi-hauteur ne plaide pas en sa faveur. L'éphémère héros fera connaissance avec les frustrations du discrédit. Il sera exclu de l'Explorer's Club, puis de l'Arctic Club et enfin de l'Académie des Sciences de Brooklin. Cook a-t-il vraiment atteint le pôle ? S'est-il trompé de bonne foi ? Ou bien a-t-il menti ? Et le cas échéant, Peary est-il bien le premier à avoir réussi cet exploit ? "Oui !" répond dans un premier temps la Société de géographie de Washington, aussi déçue par le manque de preuves de Cook que convaincue par les
conclusions d'une commission d'experts nommée par elle pour statuer sur la véracité du dossier Peary. "Oui, oui et oui !" confirment sans ambiguïté les sociétés de géographie de Londres, de Berlin et de Paris qui homologuent cette victoire tour à tour. Cette évaluation ne fera néanmoins jamais l'unanimité. Pire : dans les années '80, elle fera l'objet d'une remise en cause radicale. Le témoignage d'un Inuit, le renvoi du navigateur-sextant et la rapidité (jugée excessive) du retour ne concordent pas avec la version d'un Peary qui, estime-t-on désormais, n'aurait jamais atteint le pôle.
La controverse, en tout cas, fait toujours rage. Elle n'est sans doute pas prête de s'éteindre.

Richard Byrd et Floyd Bennett : le pôle vu du ciel
En 1926, un avion dénommé Josephine Ford s'envole du Spitzberg (Groenland). Destination pôle Nord. A son bord, un officier de la marine U.S., Richard Byrd, et un autre passionné d'aviation américain, Floyd Bennett. Lancé à 160 km/h, l'appareil franchit la limite de la banquise en moins de soixante minutes. Il survole son objectif quelques heures plus tard. La position du soleil est mesurée à l'aide d'un sextant. Oui ! C'est bien le pôle. Quelques photos et images filmées en guise de souvenir et on reprend le chemin du
retour. Malgré l'inquiétude consécutive à une fuite d'huile, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes boréals. Même l'atterrissage s'effectue sans anicroche, après quinze heures trente de vol. Byrd et Bennett ont réussi. Et cette fois, il ne se trouvera personne pour mettre en doute le succès de l'opération.