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Les carottes glaciaires
Des archives de 110 000 ans posent une question : va-t-on vers une catastrophe climatique de grande ampleur ?

En forant les inlandsis, les hommes de science sont, depuis un quart de siècle maintenant, entrés dans une formidable machine à remonter le temps.

A 400 mètres de profondeur (ces chiffres donnés à titre d'exemple ne sont pas valables partout en Antarctique car les taux d'accumulation des glaces diffèrent d'un endroit à un autre), on a déjà fait un bond de 10.000 ans en arrière (1) -cette période marque le début de la période interglaciaire qui caractérise notre période actuelle. 200 mètres plus bas, on débarque 20.000 ans plus tôt, âge de la dernière période glaciaire.


L'aventure est d'autant plus passionnante que, de temps à autre, elle est secouée par de consternantes découvertes. Ainsi ce forage auquel a participé en été 1992 le glaciologue belge Roland Souchez au centre de l'indlansis groenlandais dans le cadre du programme européen GRIP (Greenland Icecore Project). Les hommes de science découvrent, en effet, qu'au cours de la période étudiée, l'Eémien (environ -110.000 ans), il s'est produit à plusieurs reprises et en quelques centaines d'années seulement, une chute de température d'environ 10 degrés.
Or, aucun signe, aucune évidence scientifique recueillie dans les carottes groenlandaises -aucun modèle non plus- ne permet d'expliquer ce changement de climat. La science est interloquée ; "Bien que nous savions", écrit Roland Souchez (2), que de grands changements climatiques peuvent se produire au cours des périodes froides du cycle glaciaire-interglaciaire, les oscillations observées au cours d'un âge chaud sont nouvelles". Lors de la publication du rapport dans l'International weekly journal of science, Nature (juillet 1993), c'est la consternation. Tout d'abord parce que l'article est signé par 40 glaciologues réputés dans le monde dont Claude Lorius, Willy Dansgaard ou Hans Oeschger, tous trois lauréats 1996 du prix Tyler (Tyler prize for environnmental Achievement) ; pas de doute donc sur le sérieux de l'information. Ensuite, parce que l'Eémien est une période interglaciaire fortement semblable à la nôtre et que les quelques deux degrés de plus qu'il y avait alors sur Terre ressemblent furieusement aux prédictions les moins alarmistes qui concernent le réchauffement progressif de notre atmosphère terrestre. Les chercheurs s'interrogent avec d'autant plus de sérieux à propos de cette découverte qu'un forage américain, mis en place à 30 kilomètres du forage européen, n'a pas obtenu, lui, les mêmes courbes. Il faut donc continuer de chercher, continuer de forer.

Dans le cadre de la poursuite de ces travaux, l'Union Européenne, alertée par la communauté scientifique internationale, n'a pas hésité à donner son accord pour financer un programme de forage de quatre ans - projet EPICA de 20 millions d'écus - qui se propose d'envoyer les chercheurs européens en Antarctique pour aller sans retard forer dans la calotte glaciaire et vérifier si les inquiétantes courbes climatologiques observées dans l'hémisphère nord se retrouvent également dans cette partie du monde.

EPICA est sensé devoir répondre à la question que pose cette découverte : comme les conditions climatologiques actuelles sont pratiquement les mêmes qu'alors et que la différence de 2 degrés est en train de lentement se combler, est-ce que nous allons, nous aussi, au devant de tels bouleversements climatologiques ? On imagine mal les répercussions économiques que provoquerait une telle instabilité, fût-ce sur la consommation de fuel domestique, par exemple...

 

(1) Ces chiffres ne concernent que l'Antarctique car même si des forages ont également lieu au Groenland et peuvent parfois déboucher sur les mêmes résultats que ceux faits sur le continent austral, les glaciologues insistent sur le fait que la déformation sous-jacente des glaces antarctiques dans les couches profondes -qui naturellement influe sur les résultats- n'est pas la même en Antarctique qu'au Groenland.

(2) Climate instability during the last interglacial period recorded in the GRIP ice core, by Greenland Ice-core Project (GRIP) Members. Nature, International Weekly journal of science, Volume 364, N° 6434, 15 july 1993