Les Expéditions polaires Arctiques / Saison printemps 2005
Bancroft Arnesen Explore - Arctic Ocean (Ann Bancroft & Liv Arnesen) |
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Mercredi 13 avril
Voici ce que Ann et Liv ont écrit comme dernier message de leur expédition après leur mésaventure avec la logistique de Cerpolex.
Salut à tous,
J'ai pensé qu'il était temps de vous donner des nouvelles, maintenant que nous avons achevé une nouvelle phase de nos aventures. Liv et moi, nous sommes enfin à la maison, après notre voyage en Russie, sur la glace arctique puis de nouveau en Russie. A Oslo, des brassées de tulipes nous attendaient avec la famille, les amis et les médias. Notre contact de presse Britt avait organisé une conférence de presse sur place. Beaucoup de questions cherchant à comprendre les péripéties du dernier mois. J'ai quitté Liv un beau mercredi de printemps, la semaine dernière, à Oslo, pour rejoindre ma famille et la saison que j'étais sûre de manquer cette année.
Parce que nous n'avions pas l'intention de revenir par la Russie, nous n'avions plus que des vêtements de glace. Le printemps était là aussi à Krasnoïarsk, et les gens se retournaient sur notre passage le long de la rivière Yennacy River et au marché, tandis que nous achetions des pommes et du fromage : combinaison de laine, pantalons en Goretex, chaussures de ski. Même dans le grand nord, les Russes font très attention à leur tenue vestimentaire, surtout les femmes. Si les regards étaient aussi insistants, ce n'est pas seulement parce que nous étions habillées autrement, mais parce que nous ne portions pas ce que les femmes auraient porté normalement dans ce genre d'endroit.
Nous sommes arrivées à Moscou mardi matin, après un très long vol. En fait, c'est en voyageant que l'on se rend compte de l'immensité de la Russie. La plupart des vols locaux que nous avons pris duraient aux environs de six heures ! Une fois dans la capitale, les trois expéditions ont attendu nos contacts de Cerpolex et le camion chargé d'emporter traîneaux et matériel. Ensuite, nous devions gagner un autre aéroport pour prendre l'avion vers nos patries respectives. Désormais habitués aux attentes entrecoupées de précipitation, nous étions tous les six très calmes, attendant près du matériel, dans nos vêtements chauds et sales, à l'écart de l'agitation. Des visages familiers se sont montrés, les mêmes qui nous avaient aidés il y a un mois. Les traîneaux embarqués dans le vieux camion, nous avons embrassé Ann Daniels, qui attendait un vol à partir du même aéroport. Quant à nous, l'aventure n'était pas finie !
Serrés dans une petite voiture, Liv, Doug, Peter et moi devançons le vieux camion sur la longue route qui mène à l'autre aéroport, de l'autre côté de Moscou. Marc est dans le camion avec le matériel. Nous voulons attraper les vols de 4:00 heures pour les Pays-Bas et la Norvège. L'expérience nous suggère une certaine inquiétude. En arrivant à Moscou à 9:00 heures du matin, l'on aurait pu penser que nous avions tout le temps de prendre un avion, même avec des colis. Mais nous avions appris.
Le trafic était stupéfiant. Des voitures partout. Le camion peinait à nous suivre. Notre chauffeur s'arrêtait sur l'autoroute ou ralentissait. Je craignais que l'on nous emboutisse, mais j'ai vite compris que les autres voitures se contentaient de nous contourner. De tous côtés, des voitures et camions de toutes sortes, dans tous les états. Notre chauffeur hurlait dans deux téléphones portables, tentant d'aider le camion à suivre. Il parlait très fort, en russe, à nous et à son interlocuteur, gesticulant tout en conduisant. Les heures passant, la température physique et la tension ont commencé à monter dans la petite voiture. Nous commencions à douter de jamais arriver à temps. Après tant de journées passées sous un climat doux avec nos laines et Goretex, sachant que la glace était loin, nous n'avions plus qu'un envie : rentrer à la maison. La perspective de passer la nuit à Moscou pour attraper PEUT-ETRE l'avion du lendemain était insupportable.
Notre chauffeur l'avait compris à l'expression de nos visages dans le rétroviseur. Il nous a demandé en russe si nous voulions faire envoyer les bagages plus tard et tenter d'avoir le vol. Liv a accepté immédiatement, appelant Christian chez Cerpolex à Paris pour savoir si c'était possible, puis l'ambassadeur norvégien. Tous deux ont promis leur aide. Seul problème : Marc était dans le camion, au milieu du trafic, quelque part derrière nous. Parce que nous ne comprenions guère les conversations téléphoniques de notre chauffeur, nous avons été un peu surpris de voir le camion tout à coup à côté de nous sur l'autoroute. Quand le trafic a ralenti, le chauffeur a crié à Marc que les bagages suivraient, et que nous allions tenter d'attraper l'avion : il fallait qu'il change de véhicule. D'une façon ou d'une autre, malgré le trafic et la chaleur, Marc a compris et s'est retrouvé à côté de nous, sur le siège arrière. J'étais sur les genoux de Liv, penchée sur le siège avant avec Peter. La vitesse a augmenté, et nous avons fini par atteindre l'aéroport.
Liv a couru pour nous acheter les billets, pendant que j'attendais le camion, sans être sûre qu'il allait arriver. Il n'a pourtant pas tardé. Peter, notre chauffeur et moi avons sorti tout le matériel aussi vite que possible : 5 gros traîneaux, des fûts et des sacs de marin. Même pas le temps de dire au revoir à l'équipe néerlandaise. Il fallait que nous gagnions le comptoir SAS avec notre fourbi. Là, le rythme a brutalement changé. Qu'est-ce que c'est que tout ça ? Heureusement, notre chauffeur était encore là, sans quoi nous serions encore à Moscou. Au milieu d'une conversation largement gestuelle, nos fûts ont passé la machine à rayons X, suivis des traîneaux. Le temps passait ; la plupart des passagers étaient déjà à l'embarquement. Mais il fallait encore que nous allions payer le surpoids de bagages. Liv y va, revient : carte de crédit épuisée. Dans mes lourdes bottes, je cours vers les femmes au regard méfiant du comptoir. Je croise les doigts : ma carte va-t-elle passer ? Enfin, je peux signer le ticket. Je cours jusqu'à la porte. Puis notre chauffeur nous annonce tranquillement qu'il faut 500 roubles pour le gars qui s'est occupé des bagages. En fouillant mes poches, je trouve quelques pièces et petits billets. L'homme regarde, attend. Je lui explique en toute hâte que c'est tout ce qui nous reste, peut-être 200 roubles. Je les verse dans ses mains. Ses yeux passent de notre expression à nos vêtements. Je pense qu'il nous a vraiment crus.
Nouvelle course jusqu'à la sécurité. Bottes, sacs et vestes sur le tapis roulant. A la porte, une femme sévère nous arrête : c'est la mauvaise porte. Nous repassons par la sécurité dans l'autre sens, vers l'autre machine, les bottes dans les bras, en chaussettes. A notre grand soulagement, l'avion attend. Le contact de Liv chez SAS nous a mis en classe business jusqu'à Stockholm. Nous nous écroulons dans nos sièges, aimablement accueillis par le steward, qui demande où nous sommes allés en randonnée.
Nous reprenons notre souffle ; l'avion décolle. Je fais remarquer à Liv que ce pot-de-vin est la dernière chose que nous ayons faite en Russie. Drôle de fin pour un curieux voyage.
A la maison, nous avons toutes les deux passé le week-end à penser à tout ce que nous devons faire dans les prochaines semaines, et aux sentiments que nous laissent nos dernières aventures. Comme nous l'avons déjà dit, notre agenda est bien chargé pour les mois qui viennent. Décidément, le cours de résolution de conflit PLU correspond très bien à ce qui s'est passé !
Nous devons naturellement commencer à remercier tous ceux qui nous ont aidées de diverses façons à relever les défis. Il y a tant à faire aujourd'hui et demain. Il n'a pas été facile de rentrer à la maison avec des objectifs et des rêves inachevés. Mais les lettres et les notes du site web, les messages des amis et de la famille, les rapports positifs des médias nous ont énormément aidées. Nous ne pouvons vous remercier assez. Le voyage est loin d'être fini, et nous espérons que vous nous suivrez encore dans nos futures aventures. Rien n'eût été possible sans vous. Merci.
A bientôt! Adios, Ann et Liv
Lundi 4 avril
En raison de graves difficultés entre Cerpolex et les autorités russes la semaine dernière, le TO français a décidé l'évacuation des expéditions, « faute de pouvoir assurer leur sécurité ». Voici ce qu'Ann et Liv écrivaient sur leur site web après cet abandon forcé :
31 mars 2005
Ann et Liv ont connu aujourd'hui une journée très, très difficile. Le problème n'avait rien à voir avec les conditions de vie arctiques, un chenal infranchissable ou une crête de pression. Ann et Liv se sont retrouvées dans une situation totalement imprévue : un sordide litige entre des entreprises concurrentes qui transportent les scientifiques, les touristes et les expéditions dans la région arctique, au départ de la Russie. Le conflit, qui avait déjà retardé Ann et Liv dans le courant du mois, s'est envenimé jusqu'à compromettre finalement le plan de sécurité de l'expédition. L'évacuation complète est devenue la seule option possible pour les trois expéditions devant quitter la Russie pour le Pôle Nord : Pole Track, Ann Daniels et Bancroft Arnesen Explore. Quand les équipes ont appris la décision aujourd'hui, les hélicoptères étaient déjà en route pour les embarquer. L'on imagine aisément la surprise d'Ann et Liv, qui attendaient avec impatience le ravitaillement annoncé pour aujourd'hui.
« C'est un coup dur très pénible, déclare Ann Bancroft. Nous ne savons pas encore comment nous allons réagir. En tout cas, nous ferons face comme nous le faisons toujours sur la glace. Nous garderons la tête haute et continuerons à avancer. » Ann et Liv sont toutes deux très tristes de ce qui leur arrive, mais elles n'oublient pas leurs professeurs, les supporters et les millions d'enfants qui les suivent. « Nos deux programmes éducatifs sont ciblés pour parler de ce genre de leçons que la vie nous donne, poursuit Ann. Le voyage n'est pas fini. Nos initiatives éducatives sont trop bien lancées, et nous nous sommes engagées à partager d'autres histoires de l'Arctique à notre retour. »
Mardi 29 mars
Ann et Liv ont décidé de se faire ravitailler une fois de plus et d'appeler donc la logistique sur la glace la semaine prochaine. Elles remarquent que les glaces deviennent moins chaotiques au fur et à mesure de leur progression ; elles ont ainsi pu couvrir 18.9 km samedi dernier et 21 km le jour suivant, dimanche 27 mars. Les deux femmes sont en forme et ont le moral au zénith. Elles s'approchent du 83e degré qu'elles espèrent franchir dimanche.
Leur position rapportée le dimanche 27 mars : 82° 804 N 93° 620 E
© Courtesy : Bancroft/Arnesen
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Vendredi 25 mars
Lundi 21 mars, Ann et Liv ont dépassé la marque du degré 82 (voir notre carte) et ont progressé de 14,8 km samedi 19 et de 24 km dimanche 20. L'ours qui les suivait semble s'être désintéressé des deux femmes. La glace a changé, elle est moins jeune et quelque peu moins difficile à négocier. Température constante au cours de ces derniers jours : -30, -32°C. Les chenaux d'eaux libres sont tout aussi nombreux et la plupart du temps, les deux femmes les traversent à ski (ils ne sont pas très larges en général), sans prendre le temps revêtir leur combinaison étanche.
Leur position le mercredi 23 : 82°315 N / 93°134 E.
Dimanche 20 mars
Une progression normale depuis le 14 mars, jour de leur départ ; des zones de compression, quelques heures de white out, une sérieuse dérive contraire, les sempiternels chenaux d'eaux libres ou de glaces plus qu'instables à négocier et un petit plongeon (vendredi dernier, 18 mars) pour Liv Arnesen dans l'océan - sans sa combinaison étanche! - font que le décompte n'est ni tout à fait favorable ni tout à fait négatif. Il n'empêche que le plus dur de ce début d'expédition fut sans conteste la présence d'un ours menaçant qui ne les a pas quittées pendant 48 heures ! Apparaissant dans l'après-midi, disparaissant le soir pour remontrer le bout de son nez le lendemain matin, ce qui fait que les deux femmes ont du progresser deux jours durant en se retournant toutes les trentes secondes pour voir où en était l'imposant animal !
Bon moral néanmoins, les deux autres expéditions ne sont plus en vue, excellente condition physique.
Dimanche 13 mars
Des messages d'Ann, Liv et Cerpolex confirment que les deux exploratrices sont arrivées au Cap Arkticheskiy, 81.20 N, aujourd'hui à 12:00 heures. Après un déjeuner léger, elles se sont mises en route sur l'océan, entamant leur périple de 2000 kilomètres. D'après le message vocal de Liv, elles sont à l'abri dans leur tente, prêtes pour une première nuit dans le froid.
11 mars / 12:24 h / US Central Time
Un message d'Ann et Liv confirme que toutes les équipes sont bien arrivées, mais non sans une brève frayeur. Au Cap Cheliouskin, les pilotes se sont vu refuser l'autorisation de faire le plein. Or, les hélicoptères Mi8 qui opèrent dans cette région froide doivent ravitailler rapidement en raison du risque de condensation ou d'autres problèmes de carburant. Après une heure de discussion avec les autorités militaires locales, les hélicoptères ont pu faire le plein et se diriger droit sur la station météo de Golomnyani, sans passer par la base militaire de Sredny. Les trois expéditions polaires (Pole Track, Ann Daniels (solo) et BAE) ont été accueillies très chaleureusement. Les équipes ont survolé Taimyr Tundra, puis la partie méridionale de la mer de Kara avant de parvenir à Severnaya Zemlya.
Jeudi 10 mars 2005
En raison de tracasseries administratives de la part des autorités russes qui tardent à accorder les permissions nécessaires aux trois expéditions en partance du cap Arktichewski vers le pôle Nord (voir le message de Ann ci-dessous), Ann Bancroft et Liv Arnesen sont obligées d'attendre à Khatanga.
Ce retard pourrait être fort préjudiciable à la réussite du projet car, dans cette grande traversée que tentent les deux femmes, tout dépend naturellement de la fonte précoce ou non (et ces dernières années, de plus en plus précoce en tout cas) de la banquise arctique. Et dans ce type d'aventure, chaque jour de perdu est un lourd handicap.
Mercredi 9 mars 2005
Ann et Liv restent retardées à Khatanga, sans savoir quand elles pourront partir pour l'Océan Arctique. Elles espèrent toujours que ce sera pour cette semaine. En attendant, elles se promènent en ville et profitent du délai pour se familiariser avec l'équipement technique. Voici le communiqué d'Ann.
"Nous apprécions beaucoup les messages qui nous parviennent par le web. C'est formidable d'avoir des nouvelles des jeunes conducteurs d'attelage, de Nancy au Children's Museum, des jeunes qui attendent Saint-Nicolas. Merci de tout ce que vous faites pour nous faciliter la vie de ce côté-ci de la planète."
Salut à tous,
Accalmie dans l'action. J'essaie d'avoir Satcom pour voir si l'iPaq et les téléphones satellite arriveront à se parler. Jusqu'à présent, rien. J'ai tenté d'appeler Satcom mais nous sommes chaque fois coupés. On réessaiera.
Encore une journée dans la belle Khatanga. Liv et moi avons fini par nous rendre aux bureaux (ou ce qui en tient lieu). Il a d'abord fallu évacuer à la pelle les congères qui bloquaient la porte. Par la fenêtre gelée, je voyais qu'ils avaient besoin de temps pour se réveiller. Nous avons donc attendu un peu sur le trottoir. Une fois entrées, nous avons pris du café, une tranche de pain et le reste de beurre d'Ann. Un festin ! Pas de nouvelles, et aucune raison apparente d'en attendre bientôt. Revenus chez nous, nous avons donné nos vêtements aux trois filles pour qu'elles fassent la lessive. Pendant ce temps, nous portions nos tenues d'expédition, l'occasion de faire une ballade bien au chaud dans le vent. Il ne fait que -12 ici, et le vent laisse une impression de chaleur sur le visage. Les conditions ne sont pas faciles pour autant. Les routes sont semées de congères qui ne semblent gêner personne. Les chiens jouent et furètent dans le vent. Nous en reconnaissons deux qui sont venus avec nous. Ils s'amusent comme des chiots en tirant sur des bouts de carton que leur tends.
Des enfants jouent sur les monticules de glace repoussés par le chasse-neige, s'échangent un ballon de football gelé. C'est aujourd'hui la Fête des Femmes ; les gens flânent, font leurs courses dans les petites boutiques qui semblent omniprésentes. Mais on ne les repère pas toujours facilement, les enseignes étant discrètes. Si vous voyez des gens passer une porte un sac à la main, c'est sans doute une échoppe. Elles se ressemblent toutes : épicerie et autres articles divers rassemblés dans une petite pièce. Nous achetons un petit pain dur, un morceau de fromage et une boisson. Nous apprécions beaucoup les messages qui nous parviennent par le web. C'est formidable d'avoir des nouvelles des jeunes conducteurs d'attelage, de Nancy au Children's Museum, des jeunes qui attendent Saint-Nicolas. Merci de tout ce que vous faites pour nous faciliter la vie de ce côté-ci de la planète. Merci à tous, continuez ! Cette semaine sera la bonne, espérons-le.
Adios ! Ann Bancroft