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A côté des nouveaux explorateurs, les nouveaux aventuriers.
La science n'a pas été la seule à se lancer à la conquête du 6e continent. Dans une moindre mesure et avec des objectifs souvent moins louables et en tout cas plus inutiles, les jusqu'auboutistes de l'exploit se sont, eux aussi, intéressés à l'Antarctique. Jusque là, ils avaient à peu près tout fait. Grimper l'Everest en quelques heures, se balader à plus de 8.000 mètres sans oxygène, s'attaquer aux sommets extrêmes en hiver, marcher, pédaler, voler et naviguer autour du monde, explorer les gouffres les plus dangereux, les plus profonds et les plus inaccessibles, tenter le pôle Nord en moto, l'approcher en planche à voile, l'atteindre en ULM, à pied avec et sans assistance, plonger profond, très profond, traverser des océans à la rame ou à la nage... Dès lors, que leur restait-il ? L'Antarctique ! Le dernier défi...
La première aventure digne de ce nom est à mettre au crédit de trois aventuriers britanniques Sir Ranulph Fiennes, Charles Burton et Olivier Shepard qui réussirent à rallier en 67 jours (été 1980-1981) et en scooter des neiges, la base sud-africaine de Sanae située du côté atlantique du continent à la base Scott, sur la mer de Ross. Après l'exploit de Fuchs et de Hillary lors de l'AGI, le raid de Fiennes fut la seconde traversée intégrale du continent mais la première à être réussie sans assistance extérieure. Cette expédition faisait partie d'un projet fou imaginé par Fiennes, faire le tour du monde par les pôles ! Le récit qu'a donné l'aventurier anglais de cette expérience (5) est entré dans la légende des grandes narrations polaires tant les moments forts y sont nombreux : la différence avec l'équipe de Fuchs-Hillary, en effet, - mis, à part le fait que Fiennes voyageait sans assistance - résidait dans le fait que les hommes, du fait de leur progression en scooter, voyageaient à l'extérieur et étaient donc en permanence exposés au froid, aux chasse-neiges, aux vents et aux terribles blizzards. A lire le récit de Fiennes, on se rend compte que la plus grande partie de cette traversée fut un véritable enfer : les crevasses à éviter (lorsqu'on les voit), les sastruggis qu'il faut découper à coups de piolet pour faire passer les véhicules, les glaciers qu'il faut négocier, la main qui gèle sur la manette des gaz, l'autre main qu'il faut croiser devant soi pour libérer un instant l'autre, la paralysie que provoque insensiblement la position assise et le frottement du vent dû à la vitesse du skidoo, haler les engins au travers de passages difficiles, manier les cordes, les corps engourdis par le froid, les mains boursouflées, renouveler l'opération pour les traîneaux, négocier les dépressions...
Il est naturellement impossible de relater ici les péripéties de tous ceux qui sont allés se mesurer au grand continent blanc. En moins d'un quart de siècle, en effet, il y eut plus d'une trentaine d'expéditions qui se sont rendues sous les hautes latitudes et ont posé les crampons sur la glace de l'Antarctique. Un exemple récent : rien qu'entre les mois d'octobre 1996 et février 1997, quatre expéditions ont tenté de traverser l'Antarctique (en tout ou en partie), dont une équipe de Coréens, un Norvégien, un Polonais et une Française qui s'est rendue seule et à pied des environs de la station de Patriot Hills (en fait, un campement touristique) au pôle Sud, soit un périple de 1.100 kilomètres. Seules, les grandes dates de l'histoire de l'exploit sportif en Antarctique sont donc ici relatées. Nous avons commencé avec Fiennes parce que le Britannique inaugurait en quelque sorte une nouvelle ère de la découverte antarctique ; celle de l'exploit sportif. Voici à présent l'aventure du médecin français Jean-Louis Etienne.
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L'aventure que réussissent Jean - Louis Etienne et ses compagnons fut une des plus éprouvantes de la période moderne de l'histoire de l'exploration de l'Antarctique |
Pour alerter les médias, il faut toujours un superlatif, une originalité. Fiennes avait réussi la première traversée sans assistance. Etienne, lui, décida que son voyage serait le plus long jamais entrepris par l'homme sur le 6e continent et qu'il se ferait dans la grande tradition polaire, avec des traîneaux et des chiens (ces derniers sont, depuis, interdits de séjour dans l'Antarctique -voir Protocole de Madrid, partie IV). Contrairement à ce qui se passe d'habitude dans ce type d'expédition, ce coup d'éclat était mis au service d'une cause ; sensibiliser le monde aux problèmes de la protection de l'environnement antarctique au moment même où tout risquait de basculer avec l'adoption en 1988 de la Convention de Wellington qui prévoyait de réglementer l'exploitation des ressources minérales du continent. C'est ainsi qu'accompagné de cinq hommes, un Américain (Will Steger, qu'il a rencontré sur la route du pôle Nord et avec qui il a imaginé l'expédition), un Britannique appartenant au British Antarctic Survey (Geoff Somers), un scientifique soviétique (Victor Boyarsky), un glaciologue chinois (Qin Dahe) et un maître de chiens japonais (Keizo Funatsu), Etienne débarque en Iliouchine sur la piste chilienne de l'île du Roi George. Quelques jours plus tard, les six hommes se rendent avec les tonnes de matériel et les quelques 40 chiens en Twin Otter sur les bords de la plate-forme glaciaire de Larsen. Devant eux, un périple de 6.000 kilomètres les attend qui va les conduire, via le pôle Sud et la base de Vostok, à la station russe de Mirny. Le budget de l'expédition est colossal : plus de 350 millions de francs belges... Quatorze ravitaillements sont prévus en cours de route, des dépôts de vivres ont été faits tout au long de la péninsule, les hommes sont allés s'entraîner plusieurs mois au Groenland. Le 11 décembre 1989, après 134 jours de progression sur un terrain difficile, après avoir effectué 3.200 kilomètres en traîneau par des conditions climatiques épouvantables (blizzards et tempêtes se sont succédé, en effet, à un rythme infernal, poussant le mercure à descendre, combien de fois, sous les 50°C), l'équipe atteint enfin le pôle Sud. Lorsqu'ils se remettent en route, ils rencontrent une zone de sastruggis dont la hauteur est inhabituelle : plus d'un mètre au lieu de 30 à 40 cm ! Qu'est-ce cette difficulté si on la compare à toutes les horribles souffrances que les hommes ont dû endurer lors de cette historique traversée qui a duré 213 jours ? Peu de chose... Lors de leur arrivée victorieuse à Mirny, en tout cas, les conditions dans lesquelles se déroula cette grande aventure ont servi la cause du 6e continent car l'on reparla abondamment du projet de créer un parc antarctique mondial.
Une autre grande aventure antarctique a été celle de Reinhold Messner, l'alpiniste qui ne recule devant aucun défi. Voulant, lui aussi, frapper haut et fort, il décida de réaliser ce que Filchner et Shackleton n'avaient pu réussir en 1911-12 et en 1914-15, la traversée intégrale du continent, depuis la mer de Weddell jusqu'à la base Scott. Le projet initial est quelque peu modifié en raison d'une exécrable météo et c'est finalement de la plate-forme de Ronne - c'est-à-dire à 82° de latitude sud (les Belges Hubert et Dansercoer, eux, vont partir de plus loin encore) - que Messner accompagné de l'Allemand Arved Fuchs s'en va le 1er novembre 1989. Trois mois plus tard, après avoir couvert 2.400 kilomètres et s'être fait ravitaillé deux fois, ils atteignent la mer de Ross. L'originalité de cette expédition réside dans le fait qu'ils ont été les premiers à voyager à pied (à skis) en tirant eux-mêmes les traîneaux derrière eux et à utiliser un nouveau système de traction polaire, la technique du parafoil - celle-là même que va employer l'expédition belge South Through the Pole 1997-98 -, une voile gonflée par le vent qui tire ceux qui s'y accrochent.
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La transAntarctique réussie par Hubert et Dansercoer sur 3800 km - de l'ancienne base belge roi Baudouin jusqu'à McMurdo - fut la plus rapide de toute l'histoire de l'exploration antarctique |
Dès 1990, une palette bien garnie d'autres aventuriers va se lancer dans la conquête du continent Antarctique. Comme le terrain est immense et relativement inviolé, les amateurs de premières et d'exploits de haut niveau s'en donnent à coeur joie. Erlin Kagge, un ressortissant Norvégien, est le premier homme à atteindre le pôle Sud (janvier 1993), seul, à skis et en autonomie totale au départ de l'île de Berkner, au bord de la mer de Weddell. En 1992, Fiennes revient sur la terre de ses exploits et tente avec Mike Stroud, depuis le même endroit choisi par Kagge, la traversée intégrale du continent sans le moindre ravitaillement : ils échouent à 500 kilomètres du but. Lors de l'été austral de 1995-96, pas moins de 6 expéditions s'attaquent au raid île de Berkner-pôle Sud, à pied et en autonomie (un mode de progression qui semble devenir un standard en cette fin de siècle) ; cinq réussiront. Le premier à l'atteindre est un explorateur norvégien, Børge Ousland, qui devient le premier homme à avoir atteint à la fois le pôle Nord (1994) et le pôle Sud seul, à pied et sans se faire ravitailler en cours de route. Parti le 7 novembre 1995, il mettra 44 jours pour franchir les 1.360 kilomètres qui le séparent du pôle ; en fait, il avait l'intention d'aller jusqu'à la base Scott et de réussir ainsi, dans les mêmes conditions, la première traversée intégrale du continent mais comme il a échoué à 80 km du pôle, l'intérieur des cuisses en sang, c'est son exploit vers le pôle Sud que l'histoire retient. Il sera suivi de peu par un Polonais, un Russe, un Anglais et deux Canadiens. Mais Ousland, 34 ans, fait partie de ceux qui ne lâchent pas facilement prise. Un an plus tard, en effet, il part du même endroit et parvient enfin à rallier la base américaine de Mac Murdo après 64 jours de progression sans incident majeur et un périple de 2.845 kilomètres parcourus dans les mêmes conditions. Ce qui le place en tête de ces nouveaux aventuriers polaires qui font en sorte que leur passion du dépassement de soi et le besoin qu'ils éprouvent à vouloir toujours pousser plus loin leurs limites servent en même temps à attirer l'attention de l'opinion publique vers ce coin du monde et la sensibiliser à une juste cause ; celle de la protection définitive de l'écosystème Antarctique.
Les femmes dans l'Antarctique
Si l'on se reporte à la carrière de la scientifique belge Ghislaine Crozaz qui relate son expérience de chercheur installé aux Etats-Unis dans le dernier chapitre, force est de constater que, jusqu'à un passé relativement proche, les femmes étaient considérées comme personae non gratae en Antarctique. Trop dur pour elles sans doute, l'Antarctique ayant été depuis toujours une affaire d'hommes, exception faite des baleiniers norvégiens du début du siècle qui prenaient volontiers leurs femmes à bord et des scientifiques russes qui, dès l'Année Géophysique Internationale, ont intégré du personnel féminin dans leurs expéditions (6). Mais il ne s'agit-là que de deux exceptions qui confirment la règle. Ghislaine Crozaz n'a-t-elle pas attendu de longues années avant d'être enfin acceptée au sein d'une expédition américaine qui allait rechercher des météorites sur la calotte glaciaire antarctique ?
Il y a dix ans à peine, les autorités du British Antarctic Survey qui commençaient à accepter tant bien que mal les scientifiques-femmes au sein du personnel de leurs stations situées sur la péninsule Antarctique, obligeait ces dernières à prendre la pilule contraceptive avant de partir sur le terrain. A l'époque, cette contrainte était justifiée par le fait qu'une grossesse survenant en pleine nuit polaire loin de la moindre installation hospitalière pouvait être une situation dangereuse pour l'intéressée et contraignante pour les autres membres de la base. Dans le même genre de registre, il y eut l'incitation politique de l'Argentine et du Chili à envoyer des femmes sur le continent blanc, dans le seul but d'accoucher sur place et de donner ainsi la nationalité antarctique au nouveau-né, ce qui servirait le pays au moment où les revendications de souveraineté territoriale viendraient à être discutées...
Il n'empêche que les femmes ont bel et bien débarqué dans l'Antarctique pour y travailler. Edith Ronne (l'épouse de Finn Ronne) et Jennie Darlington, toutes deux citoyennes américaines, sont les premières femmes à hiverner en compagnie de 5 compagnons d'expédition sur l'île Stonington ; c'était en 1947. Quinze ans plus tard, en 1962-63, des américaines s'embarquèrent à bord du navire Eltanin pour une campagne scientifique (6). Après elles, il y eut plusieurs Australiennes qui ont été nommées chefs d'expédition. En 1979, l'américaine Michèle Raney fut la première femme à hiverner dans une base scientifique. En 1990, une équipe composées exclusivement d'Allemandes (elles étaient 9 femmes en tout) a hiverné à la station Georg-von-Neumayer (70°37' latitude sud et 8°22' longitude ouest). Leur programme scientifique comprenait entre autres des mesures de perturbations sismiques ainsi que l'observation du champ magnétique terrestre Cinq ans plus tard, la première équipe allemande mixte a aussi hiverné à Neumayer : sur les T-shirts de l'expédition, on pouvait lire l'inscription "Neumayer goes mixed" accompagnée d'un logo représentant une cigogne et un bébé ! En ce qui concerne la recherche féminine belge en tout cas, nous verrons dans le dernier chapitre qu'elle se porte le mieux du monde.
Quant aux exploits sportifs, même si ces dames ont été moins nombreuses que les hommes à vouloir conquérir les frissons de l'Antarctique, elles se sont montrées à la hauteur de leur tâche. En 1986-87, il y eut d'abord la glaciologue norvégienne Monica Kristensen qui s'est attaquée au trajet historique (1911) d'Amundsen avec des chiens. Elle était accompagnée de deux compagnons ; ils durent tous trois faire demi-tour à 440 kilomètres du pôle Sud. En 1992-93, une expédition composée uniquement de femmes (des américaines) et emmenée par Ann Bancroft atteint le pôle Sud, à pied, à skis et en se faisant ravitailler plusieurs fois. Un an plus tard, Liv Anersen, une Norvégienne, parvient à rallier le pôle Sud après 49 jours d'une progression sans assistance. Enfin, plus récemment, en décembre 1996, l'alpiniste française Laurence de la Ferrière a réussi le même exploit en se faisant ravitailler une fois en cours de route.
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(5) Ranulph Fiennes, Mind over Matter, the epic crossing of the Antarctic continent, Sinclair Stephenson, 1993
(6) G.E. Fogg, A History of Antarctic Science, Studies in Polar Research, Cambridge University Press, 1992, p 152-53.
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