COMPAQ POLE II / THE ULTIMATE ARCTIC CROSSING
Alain Hubert & Dixie Dansercoer

Dimanche 3 mars (day 7) : " Notre temps viendra... "

Les deux hommes continuent de progresser lentement - 6,1 km aujourd'hui plus 2,34 km de dérive vers le Nord pendant la nuit - à cause des eaux libres qui ne cessent de les encercler (ce soir encore, ils ont dû s'arrêter devant un chenal qui paraissait difficilement franchissable).
Mais ils restent tout à fait confiants. Les essais de voiles s'avèrent de plus en plus conluants (ils ont essayé la grande voile de 32m² aujourd'hui) et les deux hommes sont persuadés que le jour viendra où ils pourront annoncer fièrement au QG un soir qu'ils auront battu un record de distance sur la banquise arctique.
Exactement de la même façon qu'un jour de 1998, ils ont réussi à faire - en une seule journée sur la calotte polaire antarctique - 271 km ! C'était le 6 févier 1998 et ils se trouvaient à 285 km de Mc Murdo.
De plus, il fait beau, le matériel répond, la nourriture, c'est un trois étoiles chaque soir, les onglées de Hubert, on n'en parle plus, les formes physique et mentale sont au rendez-vous et lorsqu'on les entend au travers des ondes se marrer un bon coup, force est de constater que, du côté de la banquise Arctique et de Compaq Pole II, tout est OK...


Vendredi 1er mars (day 5) : Les traîneaux ? Ils fendent la glace comme de véritables brise-glaces.

Par satellite, 9pm (local), 1pm, heure de Bruxelles. Manifestement les hommes sont nettement plus détendus, ils prennent leurs marques comme nous disions hier et s'organisent. Lorsque Hubert était au téléphone, Dixie fumait sa première petite pipe. "Mais c'est du bon tabac, disait Alain, et cela sent bon. Alors ca va..."
Pendant la nuit, les hommes ont dérivé de 1,71 km vers le nord ; il y avait 34°C ce soir en dehors de la tente et, une fois de plus, le duo a dressé le camp au bord d'une large polynie qu'ils franchront demain matin. "Mais, je pense, expliquait Dixie, que, demain, cette eau libre aura disparu. Il fait tellement froid et le vent est tombé. Alors, on a préféré arreté." De 30 km/h N-NE pendant la journée (ce qui a doné aux hommes la possiblité d'essayer pour la 2e fois les voiles, la plus petite cette fois, qui fonctionnent très bien.le vent est tombé à 10km/n N-NE ce soir. Grande satisfaction.

Mais grande satisfaction surtout en ce qui concerne les traîneaux qui se comportent le mieux du monde lorsqu'il s'agit de traverser les chenaux. Maniement de la pelle (qu'ils utilisent comme rames), parfaite flottabilité des traîneaux qui fendent la glace tels des brise-glace, paraît-il. Les gens de Aeriane ont donc très, très bien travaillé. "Il ne faut pas oublier, expliquait Alain, que nous évoluons somme toute dans un milieu liquide et qu'on se trouve en plein océan Arctique..".
Cela dit, la glisse est toujours nulle et ils doivent toujours s'y prendre à deux pour tirer les traîneaux au travers des hummocks (zones de compression). Ce qui ne les a pas empêché de faire plusieurs centaines de mètres, seuls, chacun tirant sa propre pulka.

Partis à 10 am ce matin (il leur fait environ 3 heures pour lever le camp), ils ont arrêté de marcher à 4.45 pm et ont passé, comme chaque jour, plus d'une heure à brosser leurs vêtements.
Excellente nourriture, très bon moral..
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Jeudi 28 février (day 4) : Ils sont dans un autre monde...

Il existe encore heureusement sur cette terre qui tourne si mal (et qui peut tourner si bien parfois) des zones géographiques relativement vierges. Des endroits où l'homo sapiens que l'on a la mauvaise habitude d'appeler aussi l'homme "civilisé" n'a jamais posé l'orteil. Ce sont quelques coins perdus au fin fond de la forêt amazonienne, quelques îles oubliées persillées dans l'océan Indien et, bien entendu, les régions polaires, la calotte polaire antarctique et la banquise arctique.

C'est dans un ces endroits privilégiés de notre planète que se trouvent - à l'heure où vous lisez ces lignes - les deux Belges, Dixie Dansercoer et Alain Hubert.

Selon le décalage horaire (GMT+ 9, Belgique +8) et l'heure où ces quelques lignes sont lues (statistiquement, c'est entre 20 et 21 heures que les visites sont le plus nombreuses sur antarctica.org), on peut imaginer ce qu'ils sont en train de faire.

S'ils sont sur la glace, il faut se dire qu'ils sont certainement en train de tirer les traîneaux au-dessus d'un horrible chaos de glace ; ils les transportent à deux parce qu'ils sont trop lourds, ces engins - c'est une des remarques qui est venue souvent dans les dernières retransmissions satellite, l'extrême lourdeur des traîneaux, jamais ils n'en avaient parlé auparavant - ou ils sont en train de passer prudemment une polynie. Dans tous leurs mouvements, ils mettent lentement en place l'harmonie musculaire que Frank De Witte et sa compagne, entraîneurs au COIB, leurs ont inculqués des mois durant.

S'ils ont monté le camp, ils sont en train de travailler sous la tente, chacun veillant à ne pas empiéter sur les 2,5 m² du confort de l'autre. L'un préparant le repas du soir (potage bio déshydraté, barre à délayer dans de l'eau chaude composée de : purée, huiles poly insaturées, MGLA, poulet déshydraté ou poisson, céréales broyées), l'autre réparant sans doute le piquet de la tente alors que dehors, il fait -35°C ! (A propos de nourriture, nous publierons la semaine prochaine un texte d'information intéressant que vient de nous envoyer le diététicien de l'expédition, Arnaud Tortel - tout sur l'alimentation polaire)
On peut également se dire que, devant ces grondements effrayants de la banquise, face à ces immenses et lents mouvements de la glace qui lézardent de fleuves géants le sol où ils évoluent, en entendant ainsi les souffles de l'océan situé à 5 mètres sous eux, ils sont en train de décortiquer peu à peu l'invisible, d'assister en direct à l'histoire de la formation de cette mystérieuse banquise Arctique. Ils ont a côté d'eux, sur une scène blanche et vierge, l'incroyable spectacle du Son et Lumière des entrailles de la Terre...

On se demande souvent pourquoi ces hommes quelque peu particuliers s'en vont ainsi chercher l'impossible au bout du monde : ce que Alain Hubert et Dixie Dansercoer sont en train de vivre - avec cette glace qui vit et devient banquise sous eux - est sans le moindre doute un des éléments de réponse.

Mercredi 27 février (day 3) : Un spectacle de pleine lune époustouflant...

Mercredi 5pm, 9pm sur la banquise. - 36°C. Commuincation satellite assez mauvaise.
Superbe nuit de pleine lune, des aurores boréales remplissant le ciel... Des puits et des halos de lumière sous la lune. Des lumières d'un autre monde. Un spectacle saisissant...

Dixie Dansercoer : "On a dû déplacer la tente deux fois cette nuit, car la banquise bouge drôlement... L'endroit où l'on avait mis la tente il y a trois heures n'existe plus... Ca gronde de toutes parts, la banquise bouge dans tous les sens. Ce sont les mouvements de pleine lune avec une force incroyable. C'est très impresionnants. On n'a pas beaucoup avance aujourd'hui, 5 heures de marche pour environ 4 km. On a été un peu ratardé car on a essayé les grandes voiles sur un terrain quelque peu plat et cela fonctionne à merveille avec un petit vent du Sud de 10 km/h.
Il faudra attendre le bon terrain toutefois. Le temps est redevenu très beau cette nuit. Bref, on démarre cool en espérant que cela va être un peu meilleur dans les jours qui suivent mais devant nous, des arêtes de compression à perte de vue. On verra bien demain ...Un grand merci à tous pour les messages d'encouragements..."

Lundi 25 février : départ dans une atmosphère de drame...

8pm, chez eux (sous la tente), midi chez nous : les hommes n'ont pu progresser que de 4,5 km aujourd'hui. Une énorme tempête s'est en effet abattue sur la banquise, avec un vent soufflant à plus de 50 à 60 km/h et une visibilité réduite à quelques 50 mètres. Ils ont donc préféré s'arrêter et se blottir sous la tente.
"Heureusement il fait moins froid, a expliqué Dixie, - 27°C. Pour passer les zones de compression, nous portons les traîneaux à deux, ce qui nous oblige, à faire des aller-retour constants. Il faut dire que la glisse est extrêmement mauvaise, cela nous ralentit considérablement ..."
Ce matin, lorsqu'ils se sont réveillés, les deux hommes ont vu des traces d'ours autour et près de la tente. Les monstres étaient venus rôder pendant la nuit...
En cours de journée, Alain a attrapé quelques onglées au pouce et au majeur de la main droite. Ce soir, il se soigne.

Nous venons d'avoir Remy Revellin au téléphone (de Yakoutz) qui a eu le temps de dire que les gars avaient vécu un véritable enfer là-bas et que l'île de Koteln'iy d'où les hommes sont partis est un véritable Mad Max du froid. Nous avons demandé à Remy de rédiger son carnet de voyage dans les avions qui doivent le ramener de Yakoutz à Paris. Son témoignage devrait être publié en fin de semaine...

C'est dans une atmosphère de drame que les deux hommes ont quitté la station météo de Koteln'iy. En effet, un des hommes stationnés là-bas, dans ce coin perdu de bout du monde, a donné un grave coup de couteau à son chef (qui avait fait le voyage Tiksi -> îles de la Nouvelle Sibérie avec l'hélicoptère MI 8 charterisé par Alain Hubert) et qui lui avait reproché quelques manquements dans son travail.
C'est ainsi qu'au lieu de partir comme prévu hier dimanche au petit matin, Alain et Dixie ont dû attendre le retour de l'hélicoptère avec les autorités policières locales et un médecin à bord avant de pouvoir demander au pilote de les emmener sur le lieu du départ; le cap Anisiy, situé à une vingtaine de kilomètres de l'endroit où ils avaient été débarqués samedi dernier.
Au lieu d'arriver à temps (vers 7am), le MI 8 a pointé ses hélices vers 4pm. Et a finalement déposé les hommes vers 17 heures à l'endroit du départ. Ils se sont alors séparés du photographe et du cameraman et ont établi leur premier camp de l'aventure à quelques 800 mètres du cap Anisiy, en progressant sous les lueurs de la lune.
Cela a permis en tout cas aux deux hommes de se rendre compte que la banquise n'était, au fond, pas si ferme qu'elle n'en avait l'air.
Hier soir, sous la tente, après avoir effectué une petite reconnaissance sur la glace en suivant les traces d'ours fraîches - alors qu'on leur avait affirmé sur l'île de Koteln'iy que les ours blancs ne fréquentaient pas la région -, les hommes ont entendu les premiers "marteaux piqueurs" de la banquise qui se fracasse. "Avec ce qui s'est passé autour de la station météo, cette dramatique bagarre, c'était tout simplement apocalyptique, a eu le temps de dire Hubert, avant que la communication satellite ne soit coupée...". Nous aurons sans doute une autre vacation satellite avant ce soir.