COMPAQ POLE II / THE ULTIMATE ARCTIC CROSSING
Alain Hubert & Dixie Dansercoer

Vendredi 05 avril (day 40) : " On ne sait plus à quel Saint se vouer... "

Alain et Dixie ont raison. Hier et surtout avant hier, c'était presque le black out total avec cette infernale banquise qui se refermait à nouveau (voir le 3 avril) ; les hommes avaient le moral dans les talons.
Aujourd'hui, brusque changement de paysage à nouveau; d'abord, c'est la première fois depuis le début de l'expédition qu'ils ne rencontrent pas d'eaux libres (hier, ils n'en ont pas rencontrées non plus) et ne doivent donc pas perdre du temps à traverser des chenaux ouverts. Ensuite, l'horizon se dégage derechef, laissant apparaître une banquise moins chaotique et des pans de glace plus plats et plus stables. Enfin, Alain et Dixie ont eu, pour la 4e ou 5e fois, le plaisir de sortir la grande voile et glisser à la force du vent. La séance n'a pas duré longtemps certes, une heure à peine, mais cela a suffi pour leur insuffler de nouvelles forces morales et les faire profiter au maximum de la magie des spectacles grandioses qu'ils sont en train de traverser. "On ne peut pas se rendre compte de la beauté de ces glaces, a glissé Hubert en fin de conversation satellite (Iridium), mais heureusement nous filmons beaucoup et pourrons ainsi faire partager ces moments exquis. Inoubliables..."

C'est d'avantage en fin de journée, lorsque le team, une fois réfugié sous la tente, se penche sur le carnet de bord et s'aperçoit qu'il se trouve encore à 1240 km du pôle, qu'un souffle de désespoir vient s'immiscer dans le mental des deux hommes. Pour l'instant, même s'ils savent qu'ils doivent renoncer pour de bon à la traversée intégrale de l'océan Arctique (le projet initial), ils ne sacrifient pas pour autant au jeu des pronostics. "Il faut attendre encore une quinzaine de jours, a expliqué Dixie, alors seulement on pourra analyser les différents scénarios à envisager. Déjà, atteindre le pôle Nord avec les conditions que l'on connaît depuis le départ semble être un sacré défi. "

7h30 de marche, température - 30° C, ils sentent malgré tout que le printemps est là, petit vent du sud-est pendant la journée, plus de vent ce soir, Dixie s'est légèrement blessé à la jambe hier en faisant une chute (pas grave), Alain a constamment les pieds mouillés et ses peaux se desquament, les muscles et les articulations souffrent...

Mardi 02 avril (day 37) : " Il faut gagner durement chaque journée ... "

On le voit clairement sur la photo publiée ci-dessous (et envoyée aujourd'hui via l'Iridium et l'iPaq de Compaq), la surface s'éclaircit et la glace devient chaque jour plus praticable. Aujourd'hui, par exemple, les deux aventuriers ont pu chausser les skis pendant près d'une demi-heure. Le progrès n'est pas vraiment spectaculaire, mais dans une aventure aussi difficile que celle que les deux hommes sont en train de vivre, chaque détail qui peut être pris dans un sens positif compte. Le terrain n'est pas encore favorable à une progression plus rapide mais la glace d'aujourd'hui était meilleure (environ 1,20m d'épaisseur) que celle sur laquelle il sont progressé hier. "C'est bon pour le moral..."

Il reste toutefois que des chenaux d'eaux libres, semblables à celui qu'ils viennent de traverser (voir la photo ci-contre), barrent leur route tous les kilomètres environ. Pas la peine donc de sortir maintenant les powerkites car les obstacles obligeant les hommes à ranger le matériel et à plier les voiles sont trop nombreux. Trop de perte de temps.
Grâce à la photo envoyée aujourd'hui, on peut aisément se faire une idée plus précise du rythme de leur progression. Pour franchir le chenal de la photo - un chenal d'une vingtaine de mètres de large - pris dans de la jeune glace de quelques jours, d'une dizaine de cm d'épaisseur donc - voire d'avantage, cela leur prend environ une heure. Ce fut le cas aujourd'hui pour franchir le lead de la photo. Rien que pour attacher et détacher les traîneaux et les transformer en catamaran, il faut compter une vingtaine de minutes. Lorsque le chenal est vraiment libre et sans glace et que Dixie et Alain ne doivent pas casser la glace, il faut à peine une demi-heure.
7 heures de marche aujourd'hui, - 22° C au thermomètre, 8,13 km de progression, vent du sud-sud-est et à nouveau bonne dérive vers le nord.

Vendredi 29 mars (day 33) : Ils sont prêts pour la vitesse...

Chaque jour, les hommes se rapprochent du moment où ils pourront enfin sortir les objets volants identifiés (voiles de traction) et se lancer comme des fous à la poursuite du chrono sur une plaque de glace qui aurait la grandeur de la Belgique.
Même si l'on ne parle pas de ces optimistes projections au cours de la vacation satellite (Iridium), c'est du moins l'impression qui se dégage clairement des situations et des conditions exposées chaque jour par les deux Belges.
Voici en tous cas quelques certitutes qui nous ont amenés à cette conclusion :
1/ Les glaces changent lentement de couleur, c'est un fait ; elles deviennent donc plus vieilles et moins fracturées. Un peu de patience, ils y arrivent bientôt...
2/ La dérive se remet peu à peu à les pousser vers l'ouest, au lieu du sud - sud ouest comme les dernières 72 heures et reprend, si l'on peut dire, son cours normal. Ils n'ont reculé de quelques centaines de mètres aujourd'hui contre deux à trois kilomètres les jours précédents.
3/ Un énième essai de voiles effectué aujourd'hui en début de journée a une nouvelle fois prouvé que la technique est maintenant bien au point ; il leur suffit d'un petit vent de 6 km/h pour sortir les engins magiques et filer comme le vent.
4/ Les hommes tiennent une forme épatante, si ce n'est l'humeur qu'ils affichent au téléphone, la photo publiée avant hier mercredi en est un vivant témoignage. Ils sont donc prêts à tout. Quant au moral, le moteur principal de ce type d'aventure, il est intact. Que les Belges regardent le journal parlé de la VRT demain samedi, à 1et 7pm ; ils se rendront compte du parfait état de santé aussi bien physique que mental de deux hommes...

Mercredi 27 mars (day 31) : " Nous avons changé de pays.."

Les glaces s'ouvrent enfin... Les plaques sur lesquelles évolue le tandem sont de plus en plus vastes et leur épaisseur augmente. Les ridges qui caractérisent les zones de compression (zones où les glaces s'entrechoquent) se font moins nombreuses et les zones d'eaux sont heureusement moins fréquentes. C'est ce qui a fait dire à Alain tout à l'heure qu'ils avaient enfin "changé de pays". Voilà donc des élements de nature à rassurer et voyageurs et suiveurs...
Las ! Le terrain reste truffé de plaques de glaces (plus grandes que lors des jours passés mais restant dangereuses) qui bougent et qu'il faut néanmoins franchir ; elles se cognent, se chevauchent et, parfois même, glissent l'une en dessous de l'autre... Tout cela, en direct, pendant que les deux hommes se trouvent en train de progresser dessus...
Et puis, il y a le vent qui, depuis quelques jours, reste franchement comme scotché au nord, nord-est. Cela inquiète les deux hommes car s'ils s'attendent maintenant à pouvoir d'un jour à l'autre sortir leurs voiles de traction (le compteur tourne, comme disait Dixie), ils se demandent si ce satané vent contraire ne pas va venir une fois encore troubler le cours des choses...
Enfin il faut prendre en compte la dérive de la banquise qui, au lieu de les aider à progresser vers le nord comme prévu, les emmène à l'ouest et même vers le sud-ouest.
7 heures de progression aujourd'hui, - 32° C (la plus froide journée depuis le début de l'expédition à cause du vent), grand beau temps...

Mardi 26 mars (day 30) : Dans les catacombes, 9 - 4 = 5 !

C'est un comble ! Alors que Dixie et Alain sont en train de connaître les pires conditions de progression qui soient (depuis le départ, c'est-à-dire, il y juste 30 jours, ils ont chaussé les skis seulement pendant 4 heures !), les voilà maintenant confrontés à un nouvel obstacle tout à fait inattendu : un vent du Nord et une dérive ouest négative, c'est-à-dire une dérive qui les fait "reculer" vers les côtes sibériennes. Ce qui veut dire que, non content de peiner comme des esclaves au temps des pyramides, ils doivent maintenant se battre sur un autre front - les humeurs de la dérive - pour ne pas faire marche arrière !
Aujourd'hui, ayant marché pendant 7h30, ils ont calculé qu'ils avaient progressé de 9 km environ mais se sont d'autre part rendu compte en fin de journée, lors du point GPS (Global Positionning System), qu'un fort vent du Nord couplé aux mouvements des glaces les avait fait reculer d'environ 4 km. 9 km - 4 km = 5 km...

On se doute que, lors de la vacation satellite, les deux polaires étaient plutôt de mauvaise humeur. "C'est infernal, ici, on ne peut pas vraiment se rendre compte des efforts que l'on doit produire, Dixie et moi tout au long de la journée pour tirer ces satanés traîneaux et se faufiler à travers les ridges, a expliqué Alain il y a deux heures. Et puis en plus maintenant, il y a ce bloody vent du Nord... J'appelle cela les catacombes de l'Arctique. Il n'y pas pas d'autre mot. Salut..."

Samedi 23 mars (day 27) : Dixie tombe à l'eau, Alain va à la pêche au traîneau...

Malgré les énormes difficultés rencontrées, à chaque minute, à chaque heure, on pourrait même dire, à chaque pas, Alain Hubert et Dixie Dansercoer sont en pleine forme. Fatigués certes, éreintés même car ils ne s'attendaient pas à devoir marcher ainsi sur la glace et affronter un tel enfer, mais en parfaite condition physique.
Et ce n'est pas une chute dans les eaux de l'océan Arctique qui les amoindrira ; Dixie cherchait un passage devant une eau libre (il était six heures du soir environ), tâtant de son bâton la glace ci et là. Soudain le sol s'est fracturé projetant à l'eau non seulement l'homme mais également son attelage. Alain avait le choix entre tirer le traîneau (et Dixie en même temps) ou s'occuper plus immédiatement de l'homme ; il a naturellement choisi de tirer d'abord son compagnon hors de l'eau. Lorsqu'il s'est retourné vers le traîneau, ce dernier était déjà parti à la dérive sur une petite rivière encombrée d'énormes blocs de glace. C'est en improvisant une canne à pêche (la pelle avec un bout de corde fixée à une de ses extrémités) qu'Alain a pu, après une demi heure d'efforts, ramener le traîneau vers l'endroit de la chute. Une heure plus tard, les hommes dressaient le camp...
Ce samedi 23 mars fut à nouveau un journée très difficile car le tandem est constamment entouré d'eaux libres qu'il faut négocier avec les dangers que l'on sait. Lorsque ce ne sont pas les chenaux qui les freinent, c'est une vieille neige croûtée (une neige de l'hiver) dans laquelle ils s'enfoncent à chaque pas jusqu'à la mi mollet et au travers de laquelle ils doivent tirer le traîneau.
Huit heures de marche (ils allongent peu à peu le temps de progression, ce qui prouve que le physique n'est pas le moins du monde atteint), -35° C la nuit et dans la tente, léger vent du Nord (premier vent du Nord depuis le début de l'expédition), grosse fatigue, superbes lumières boréales...

Vendredi 22 mars (day 26) : La peur de leur vie...

A force de faire l'ours... Zoom derechef sur les ours donc. Cette fois, ce n'était plus de la rigolade comme on dit. Le 6 mars dernier, un ours s'était approché à une vingtaine de mètres du tandem Hubert-Dansercoer.
Aujourd'hui, la rencontre avec les ours fut plus mouvementée. Ce fut d'abord un jeune mâle, avec une taille déjà impressionnante, qui est apparu soudain (il était quatre heures de l'après-midi environ) au détour d'une ridge (zone de compression où s'accumulent, comme des morceaux de sucre que l'on aurait empilés pêle-mêle, des énormes blocs de glace) et qui est venu examiner de près le traîneau d'Alain. De très près puisqu'il est venu poser son museau sur la toile rouge. S'emparant prudemment de son arme, Alain a tiré un premier coup de feu en l'air, ce qui n'a pas effrayé outre mesure l'animal ; ensuite, comme celui-ci se dirigeait dangereusement vers l'avant du traîneau, Hubert a tiré un second coup de feu - entre ses pattes cette fois. Apeuré mais pas trop, l'animal s'en est allé le plus tranquillement du monde.  

Les deux hommes n'étaient pourtant pas au bout de leurs peines. Quelques minutes plus tard, maman ours est venue demander des explications aux deux hommes. Pourquoi donc faire peur ainsi à son petit ? Plus gaillarde que le rejeton et mesurant plus de deux mètres de haut, la femelle est venue carrément lécher le traîneau de Alain ; l'animal se trouvait donc à moins de 3 mètres de lui.

Il a fallu à Hubert une sacrée dose de courage et surtout de maîtrise de soi ("On est quand même pas dans un zoo, ici, dit-il sur l'audio du jour) pour refaire les mêmes gestes que lors de la première rencontre du jour et tirer in extremis entre les pattes de l'animal. Pour le faire fuir, enfin...
Les autres infos de la journée semblent bien insipides au regard de ces dangereuses rencontres. Temps mitigé, beau en fin de journée, nuageux les reste du temps, très mauvaise nuit pour Alain la nuit passée (il s'est réveillé trempé dans son sac de couchage, il faisait - 30°C dans la tente), sacré chaos de glaces à nouveau alors que les hommes s'attendent à une ouverture prochaine du pack (terrain plus plat), températures qui descendent à nouveau (-30° C). L'infernal enfer continue... Depuis 25 jours maintenant, on peut dire que les deux hommes sont en permanence en situation de survie...

Mercredi 20 mars (day 24) : Un homme à la mer !

Ce ne sont certes pas des situations courantes ni agréables mais ils les gèrent comme des pros : pour la première fois depuis le départ, un homme est tombé à la mer. A deux reprises aujourd'hui, Hubert a en effet glissé et s'est retrouvé à moitié dans l'eau de l'océan Arctique. La première fois, il a pu reprendre appui sur la glace et se hisser presque immédiatement sur la banquise. Une heure plus tard, nouvelle chute : cette fois, Hubert est resté une dizaine de secondes immergé jusqu'à la poitrine. Pas question toutefois de paniquer : l'aventurier a déjà connu pareilles situations lors de son raid vers le pôle Nord en 1994.
Comme il avait laissé les tirettes de ses poches ouvertes, l'eau a pu s'infiltrer jusqu'à l'intérieur de son maillot de corps mais n'a pas eu le temps de pénétrer plus loin. Il a donc effectué le geste nécessaire : se rouler quelques minutes dans la neige afin de faire sortir le maximum d'humidité. Puis le tandem a continué son petit bonhomme de chemin.

Autre fait marquant de la journée : la rencontre avec un couple de morses qui étaient en train de s'apparier au milieu d'un petit lac. "Ce sont des bêtes vraiment énormes, a déclaré Alain. C'était extraordinaire de pouvoir observer ainsi de tels animaux en plein océan Arctique. Mais qu'est ce que ça sent mauvais. Incroyable..."

Petite journée aujourd'hui avec seulement une marche de 5 km vers le nord - ils ont passé près d'une heure à observer les deux morses - pour 6 heures de progression. Le terrain était à nouveau bousculé mais d'après les deux hommes, il se confirme que l'espoir d'arriver bientôt sur du terrain plus praticable n'est pas vain. Les étendues de glace relativement plate en effet se multiplient, le terrain est plus dégagé et les zones de chaos sont moins fréquentes.

Mardi 19 mars (day 23) : Un iceberg en vue...

Très courte liaison satellite aujourd'hui, les hommes ayant beaucoup "travaillé". La glace devient effectivement de plus en plus épaisse et compacte. Le fait qu'ils aient aperçu pour la première fois un iceberg prouve peut-être qu'ils sont en train de rentrer peu à peu dans une zone de banquise plus franche. Donc plus stable.
"Que ceux qui croient qu'on s'est fourré le doigt dans l'oeil en tentant cette incroyable traversée, nous a lancé Dixie tout à l'heure un air de défi dans la voix, qu'ils fassent attention car le jour où la surface deviendra meilleure, on filera comme le vent. Et tout le monde sera étonné..."
Température, -24°C, 7 heures de route, glisse légèrement meilleure, grosse fatigue le soir, petite réparation des voiles, 1,5m de glace sous la tente. Très bonne dérive aujourd'hui. Deux heures de voile ce matin. 

Lundi 18 mars (day 22) : Alain et Dixie passent à l'attaque !

Ras-le-bol de cette lenteur, nos deux aventuriers passent à la vitesse supérieure. Profitant d'un terrrain plus accessible et plus plat mais lézardé de dangereux petits fleuves d'eaux libres, Alain et Dixie ont chaussé la voile des grands jours - la 21m², celle qu'ils maîtrisent le mieux - et, grâce à un vent du sud de 10 à 15km/h, ils ont glissé sur la banquise pendant 4 heures et 30 minutes.
Bilan : une douzaine de kilomètres accomplis. Si l'on ajoute cette distance à celle faite pendant deux autres heures et demi de marche et aux kilomètres de la dérive, cela donne une progression de 14,6 km aujourd'hui.
Bon résultat. Mais grosse prise de risque aussi. "Il faut qu'on avance, a expliqué Alain au téléphone, on a donc risqué de prendre la 21m². Mais ce n'était pas facile car, si la glace était plus plate, notre route était parsemée de petits fleuves d'un mètre de large environ ; avec la vitesse de la voile, on sautait par-dessus. Tu vois le tableau, Michel, avec le traîneau derrière qui suit tant bien que mal - mais qui est aussi 20 kilos plus léger puisqu'on perd environ 1 kilo chaque jour -, on fait un jump, hop, pour passer les eaux libres : c'est très grisant et en même temps un peu fou, non ? Mais on en a assez d'avancer comme des escargots. Il faut rouler, rouler..."

Temps pourri ce soir, grosse fatigue, nouvelles traces d'ours pendant la journée, un peu d'eau dans les sacs de couchage, - 32° C, 7 heures de progression. Très bon moral.