http://www.arktika.org  / (© photos : Gilles Elkaim)

Introduction

MAI -> AOÛT 2001

Communiqués additionnels pour avril et mai 2001

145 km de Labitnangy / Etape 3 / Jour 6 mercredi 25 juillet 2001 /66°47,4'N 68°58,5'E
Je lis de l'inquiétude dans les regards de mes amis de Labitnangy. Natacha retient ses larmes en se pinçant les lèvres. J'aimerais la rassurer mais ne trouve pas mes mots. A quoi bon les mots lorsque les regards suffisent. Sacha, me donne l'accolade. Me voir partir seul dépasse l'entendement pour les Russes. La grande Baie de l'Ob a très mauvaise réputation avec ses violents coups de vent. Et me voir entreprendre ce voyage long de 800km à bord d'un kayak passe pour un suicide.

Seul, je le suis bel et bien sans mes fidèles chiens déjà arrivés à bon port.
Plutôt que d'emprunter le bras principal de l'Ob, j'ai préféré suivre un dédale de chenaux m'offrant une voie plus directe vers l'Est et un courant plus favorable. J'hérite, en revanche de berges marécageuses peuplées de millions de moustiques, héberlués de voir une proie aussi facile à traquer. La lenteur de mon kayak me permet de faire une étude approfondie sur la gente ailée de l'endroit.

La pêche bat son plein en cette période. Le poisson de l'Ob le plus prisé est le Mouksoun. Je n'aurai pas la chance d'en attrapper avec ma ligne car le poisson est herbivore. Sa chair extrêmement grasse fait le délice des gourmets locaux.

Au fur et à mesure que j'avance, le paysage s'efface derrière moi en un mirage nébuleux. Seuls apparaissent encore les cimes de l'Oural au lointain qui plombent le ciel en capturant les nuages. J'aurais juré voir des blocs de glace flottant sur l'eau au devant. Encore une hallucination dûe à la réfraction de rayons lumineux sur les couches d'air de températures différentes.

Je vogue sur les eaux calmes depuis plus de 6h, passant quelques tchoums (tipis) inoccupées. Je suis à la recherche d'un havre pour mon bivouac. Pas même possible de poser le pied sur la berge tant le marécage est omniprésent.Une risée vient soudain me sortir de ma torpeur, suivie d'une violente bourrasque qui m'ôte la pagaie des mains. En quelques instants, je ne peux plus progresser et suis contraint de virer de bord pour traverser le fleuve, en fuite sous le vent devenu furieux. Les vagues déferlent et je suis balloté en tous sens. Quelle berge va donc m'accueillir sur la rive opposée ? Je vise un îlot herbeux, le traverse et pose le pied sur un sol spongieux. Une courte excursion me fait découvrir un endroit idyllique à l'herbe grasse et fleurie. Inespéré, il y a même du bois sec pour cuire mon diner ! Je remercie la Providence de m'avoir guidé vers ce minuscule îlot perdu dans le marécage.

L'étrave d'une barque noire pointe droit devant moi. Elle bat pavillon noir. Le pêcheur, un homme d'ethnie Khanti est également habillé de noir et ne me semble pas habité de bonnes intentions. Il est ivre et m'interpelle dans une langue qui m'est étrangère. Il coupe son moteur pour se mettre à couple. Mauvais calcul de sa part, je force sur la pagaie et le laisse sur place occupé à tenter de redémarrer son vieux clou qui n'est pas un modèle à repartir au quart de tour.
145km depuis 6j. Si ma moyenne est honorable, les conditions présentes me laissent tout de même perplexes. Le vent du Nord n'a pas cessé de souffler en fortes rafales et je dois bientôt orienter ma route justement plein nord pour remonter la Péninsule de Tazovsky. Le thermomètre affiche en outre 10° en ce mois de juillet et la météo est extrêmement instable. Qu'en ser-t-il donc fin août lorsque j'aurai à m'engager dans la traversée en haute mer de la Baie de Tazovsky ?
Pour plus d'informations allez voir le site de Gilles

Déjà un an
Un an après son départ, c'était le 30 Mai 2000, du Cap Nord (Norvège), Gilles a déjà accompli un tiers de son incroyable périple autour de l'Océan Glacial Arctique. Ce voyage devrait le mener, au terme de trois années, au Détroit de Béring.
Il vient d'atteindre l'embouchure de l'Ob et est ainsi parvenu en Asie, achevant la traversée de l'Arctique européen après avoir parcouru 4000 km depuis le début de son voyage.

Ce trajet en solitaire s'est effectué pour la moitié en kayak de mer, le reste de la distance étant accomplie à ski, tirant un traîneau chargé de 120kg, ainsi qu'en traîneau à rennes puis en traîneau à chiens. Les conditions de progression ont souvent été critiques, notamment la marche au cœur de la nuit polaire qui s'est révélée très éprouvante.

Parti le 30 Mai 2000 du Cap Nord, Gilles est le premier piéton à franchir la frontière entre la Norvège et la Russie. Après sa traversée, à pied, de la Péninsule de Kola, il doit lutter contre des vents contraires en Mer Blanche et accomplir, en kayak, plusieurs traversées en haute mer pour rejoindre Arkhangelsk, via les Iles Solovki. C'est la première fois qu'un homme effectue la traversée de la Mer Blanche en kayak. Gilles remonte ensuite sur 500km les rivières Severnaya Dvina, Pinega et descends la Kouloï à travers la taïga pour atteindre, le 11 septembre 2000, la Baie de Mezen ou sévissent les plus fortes marées de la Russie (11m), l'une des plus fortes du monde, créant de redoutables courants.

Le 24 novembre 2000, notre aventurier s'élance sur une longue hivernale de six mois à ski en tirant un traîneau chargé de 120 kg de matériel à travers toundra et banquise au cœur de la nuit polaire. Un parcours difficile de 150 km sur une toundra sommairement recouverte de neige amène Gilles à faire étape pendant plusieurs semaines dans une communauté Nenets, éleveurs de rennes de la Péninsule de Kanine. Après s'être initié aux techniques de conduite d'un traîneau à rennes, le voyageur polaire poursuit son périple le long des rivages de la Mer de Barents en attelant deux rennes à son traîneau..

Début janvier, après deux semaines de progression sur une rivière gelée, Gilles connaît toute une série d'épreuves : une météo infernale avec des tempêtes continuelles et des températures oscillant entre -40° et + 5°, une glace instable avec plusieurs passages à l'eau, les réchauds ne fonctionnant plus, les arceaux de la tente cassés ou pliés, rationnement des vivres, plus de lumière…

Bientôt les deux rennes s'épuisent et tombent l'un après l'autre. A cours de vivres, Gilles n'a d'autre alternative que de se nourrir de leur viande crue pour survivre. A 100 km du village le plus proche, Gilles reste seul avec son chien Laïka et reprend le halage de son lourd traîneau. A bout de forces, souffrant d'une infection rénale, il atteint une cabane abandonnée dans laquelle il passe une dizaine de jours pour récupérer. En avril, au fur et à mesure de sa progression et au hasard des rencontres, il constitue un attelage de cinq chiens qu'il dresse au traîneau. Chaque animal révèle sa personnalité, ajoutant du piment et de la gaîté au parcours. Arrêté, en Mer de Kara, par la dislocation de la banquise, Gilles ne peux rejoindre directement la Péninsule de Yamal et est contraint d'orienter sa marche vers le Sud. Ce détour coûtera, à lui et à ses chiens, cinq cent kilomètres d'efforts et l'impossibilité d'atteindre la ville de Norilsk, point final de la deuxième étape prévu selon le programme.

S'engage alors une course contre la fonte printanière : marches forcées de "nuit" à travers rivières ouvertes, canyons dantesques, toundra déneigée, qui ont failli stopper l'expédition. Dans l'impossibilité de poursuivre en traîneau, Gilles continue sa progression à travers les montagnes de l'Oural Polaire, à pied, en compagnie de ses quatre chiens bâtés. Ils atteignent ainsi la petite ville de Labytnangui, située à l'embouchure de l'Ob. Ainsi, s'est terminée la première année de son périple de trois ans. Face à lui plus de huit mille kilomètres à parcourir en Sibérie avant d'atteindre, en 2003, les rivages du Pacifique:

"Un an déjà et 4000 km dans mon sillage. Je suis un homme riche. Riche de moments éprouvants et de contrastes déroutants. Que de sensations et d'images ai-je pu enregistrer dans mon carnet de bord intérieur ! Le cycle naturel des saisons a bouclé sa boucle. La luminosité de la Mer Blanche s'est atténuée pour devenir pénombre sur la rivière Soula. Les blizzards de la banquise de Barents ont changé d'écho, cédant place au murmure des ruisseaux dans les montagnes de l'Oural. Je vis pleinement cette vie d'aventures et ai de plus en plus soif d'exploration, de découvertes, de rencontres. Sans doute, cette année m'aura offert la retraite nécessaire à l'introspection de ma propre vie et à l'analyse des choses de notre monde. La nature m'a rendu plus fort, peut-être plus sage, sans aucun doute plus heureux."

Le plus important aux yeux du voyageur est la dimension exploratoire du projet ARKTIKA, puisque son itinéraire lui a fait parcourir des régions jamais encore pénétrées par des étrangers. Voyageant discrètement, en parfaite entente avec la nature et les populations locales qu'il rencontre, sa connaissance de la langue russe lui permet de s'intégrer rapidement. Qu'ils soient chasseurs, pêcheurs, humbles fermiers ou hautes personnalités administratives, le contact s'est avéré excellent du fait de son approche intimiste. "Je ne pense pas aller au bout du possible mais recherche plutôt quelques "finistères" encore assez peu explorés sur notre fragile petite planète. Je suis en quête tout simplement de la beauté du monde, de la Grandeur. La nature m'apporte beaucoup mais j'ai aussi besoin de la dimension humaine. Seul dans le Grand Nord déshérité, je peux observer le monde avec le recul que doit avoir un cosmonaute dans sa station orbitale. Ma solitude est immense, mais je l'aime."
Pour plus d'informations allez voir le site de Gilles

Quatre chiens bâtés à travers les montagnes de l'Oural
Arrêté en Mer de Kara par la dislocation de la banquise, Gilles n'a pu rejoindre directement la Péninsule de Yamal et a été contraint d'orienter sa marche vers le Sud. Ce détour coûtera, à lui et à ses chiens, cinq cent kilomètres d'efforts et l'incapacité d'atteindre la ville de Norilsk, point final de la deuxième étape prévu selon le programme. Dans l'impossibilité de poursuivre en traîneau, Gilles a continué sa progression à travers les montagnes de l'Oural Polaire, à pied, en compagnie de ses quatre chiens bâtés. Ils ont ainsi atteint la petite ville de Labytnangui située à l'embouchure de l'Ob.

Les chiens et moi avons réalisé une véritable course contre la fonte printanièrel. Des marches forcées de "nuit" sur 200km nous ont conduit à travers rivières ouvertes, canyons dantesques, toundra déneigée jusqu'à la petite ville minière abandonnée de Khalmer-you. Heureusement le traîneau flotte et nous savons nager! Mes petits chiens sont bons, mais Dingo boite de plus en plus.

A Khalmer-You, le traîneau s'est empalé sur un morceau de ferraille. Le fond en kevlar s'est déchiré sur plus de 60 cm ! Je dois l'abandonner et poursuivre à pied avec quelques rations dans le sac, sans tente ni sac de couchage. Malgré les difficultés de cette randonnée, il me plaît de voir mes 5 chiens courir en pleine liberté dans la toundra. Pushok prend quelques bains en tentant de chasser les nombreuses perdrix qui s'envolent à notre approche. Sokol, malgré son jeune âge, est un spécialiste de la capture des lemmings. Le gros Bars mène, loin devant, notre groupe tandis que Dingo ne me lâche pas d'une semelle. Sharik, quant à lui, traîne quelques pas derrière moi en s'économisant, comme toujours.

Les chiens ont senti la ville de loin. Nés et élevés dans la toundra, c'est la première fois qu'ils rencontrent la civilisation. J'ai commencé à me sentir mal à l'aise. La fumée des cheminées s'élevant au dessus de l'horizon, les bouts de verre, la ferraille, la toundra n'avait plus la même apparence. Les chiens observaient ce paysage étrange, tandis que je m'asseyais pour profiter des derniers instants de nature et de calme avant la folie de la ville et de ses citadins.

Je devais avoir l'air d'un étrange clochard avec ma longue barbe, mes vêtements graisseux, un fusil sur l'épaule, entouré de cinq chiens fourbus. Trouver le maire de la ville un samedi soir a été une chance pour nous. Malgré notre apparence peu civile et l'odeur de phoque me poursuivant, Igor Léonidevitch Chpectr nous a offert un accueil exemplaire. On a trouvé une cour d'usine pour héberger mes toutous et on m'a invité à passer quelques jours dans la famille de Nikolaï, le chef de l'administration de la petite ville voisine Vorgachor.

Dingo a achevé là son aventure. Je le laisse aux bons soins de Nikolaï qui se propose de lui offrir une retraite bien méritée dans une base de repos située dans la toundra. Le pauvre Dingo boîte trop pour continuer notre marathon.

La température est remontée de -15 à +5. Je continue mon périple toujours à pied avec mes quatre chiens bâtés. Chaque chien porte 20% de son poids, soient 5 à 7 kilos répartis en deux sacs. Un peu déséquilibrés au départ, ils vont vite s'habituer à leur nouveau fardeau. S'engage alors une compétition pour être le plus proche de leur maître.

En cette fin de mois de mai, la nature troque son manteau neigeux pour revêtir sa parure estivale. Les oies nous arrivent du Portugal, de Hollande et parfois de France pour nicher sur les rivages de l'Océan Arctique. C'est l'explosion du printemps qui, en deux semaines seulement, provoque la débâcle des rivières et fait apparaître quelques bourgeons sur les saules rabougris. Les premiers moustiques se hasardent à piquer timidement leurs proies et la toundra est noyée en un immense marécage. Seuls les sommets enneigés des Montagnes de l'Oural viennent nous rappeler les longs mois d'hiver. Le 1er Juin, après 10 jours de marche, nous atteignons la petite ville de Labytangui qui marquera la fin de cette étape hivernale longue de 2000km.
Pour plus d'informations allez voir le site de Gilles

La course contre le printemps
3730 km depuis le Cap Nord, reste à parcourir plus de 7 000 km
Difficile de prendre le départ par ce vent soufflant presque en tempête. Je pressentais une rude journée. Elle l'a été bien au delà de mes craintes. Dure la nature!
La pente est tellement raide que le traîneau n'avance plus. Si les chiens tiraient tous en même temps, ça irait. Je compte surtout sur Bars, Puchok et Dingo. Le pauvre Pouchok s'étrangle et crie de peur. Dingo ne cesse de tirer que lorsque le traîneau avance. A force de coups de pieds, on avance doucement. Je crie des encouragement, tout en tirant sur la poignée avant. Peu à peu nous trouvons une pente moins raide. Mais au sommet, c'est la toundra déneigée. Ca me fait mal de les voir travailler dans de telles conditions. Le traîneau passe sur la boue, l'herbe, la flotte. Il est tellement lourd! La pensée de descendre cette piste me fait froid dans le dos. J'hésite à me lancer. Je lance le traîneau. Aggripé sur son côté gauche, je freine avec mes bottes et lance les ordres à Bars. Une zone de toundra déneigée nous stoppe. Je remets de l'ordre dans l'attelage, tout est emmêlé.
Au bout de la pente se trouve la rivière Kara. Nous sommes déjà dans l'eau et j'ai les pieds trempés. Je ne peux passer cette rivière à l'endroit de la piste, il y a trop d'eau. Je pense abandonner, mais continue à avancer par un pont de glace. Il faut encore remonter vers la piste et je m'enfonce dans cette neige fondante jusqu'à la taille.
Tout le long de cette journée je souffre d'infliger ce traitement aux chiens et pense abandonner dix fois. Mais à force de labeur , nous mettons les massifs les uns après les autres et traversons plusieurs rivières. Bars est très courageux et saute les crevasses, les autres suivent, certains tombent à l'eau…

Je n'ai pas eu le courage de me lever ce matin tant le vent est fort. Je suis tellement fatigué par manque de sommeil. Je lâche les chiens, déjeune, effectue quelques tâches de routine et me recouche. Dans l'après-midi Bars et Dingo reviennent vraisemblablement d'une longue escapade. Sokol a attrapé un lièvre mort. Je le donne à manger à Dingo qui a l'estomac le plus solide au cas où la bête serait avariée. Nous nous préparons pour une marche de nuit… Je ne suis pas très en forme et le temps est maussade. Les chiens sont fatigués et démarrent lentement. Au bout d'une heure de marche, je suis trempé et glacé. Le temps est très humide. Dingo boîte de plus en plus; J'aimerais le détacher, mais ce serait trop dur pour les autres chiens. Il ne se plaint pas et tire malgré tout.

Soudain nous apercevons une trace de traîneau fraîche. Les chiens retrouvent leurs forces et m'emmènent dans un sprint devant le tchoum. Un Nenetse dans sa vieille malitsa en sort. J'ai dû le réveiller. L'autre tchoum n'est pas monté, mais les peaux sont posées au sol. Dessous dorment les enfants. On discute peu. Je commence à avoir froid et décide de poursuivre la route. Personne ne me retient. Les chiens sont extrêmement déçus et me le font sentir. Personne ne veut tirer plus qu'il n'en faut. Nous marchons encore et encore jusqu'à trouver une toundra déneigée pour le bivouac…

Le réveil a dû sonner, mais je ne l'ai pas entendu. Encore difficile de prendre le départ avec ce temps. Il neige et vente. Mais dès que je vois mes compagnons, ça me redonne du baume au cœur. Pouchok montre qu'il a envie d'être attelé et va mener le rythme du jour. Ce petit promet!
Nous atteignons la ville de Khalmeriou. Quel cataclysme a encre subi cette ville charbonnière toute en ruines? Il me semble voyager après une catastrophe nucléaire. Passent trois hommes qui semblent avoir pris la teinte du décor. L'un tire derrière lui une espèce de poussette rouillée. Ils me font penser à des vautours s'en allant chercher quelques pitances dans les ruines. Ils ne s'intéressent pas à moi! Je dois en interpeller un pour m'assurer que le pont du chemin de fer tient encore. Etranges individus. Je savais que deux personnes vivaient là. Mais que font - ils ici? Ils repassent dans l'après-midi devant mon bivouac, toujours en tirant la poussette.
Pour plus d'informations allez voir le site de Gilles