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AVRIL 2004 La Société de Géographie vient d'octroyer à Gilles Elkaim le Grand Prix 2004 des Explorations et des Voyages de Découvertes. 11 avril 2004, Lauvrentia, Mer de Béring / 65° 35'N, 171° W Le ciel prend une sombre teinte. Le vent du Nord pousse les glaces au sud de la péninsule et les eaux sont entièrement libres sous le Cap Dejnev. Nous commençons seulement la longue ascension des hauts massifs. Elle va se poursuivre toute la journée avec quelques trop brèves descentes. Au sommet d'un col, je rejoints encore deux traîneaux de Ouelen. Décidément, tout le monde s'est donne le mot pour prendre la route aujourd'hui. Nous bavardons un moment en avalant quelques morceaux de morse pourri, le temps que les chiens nains et leur musher nous rejoignent. Difficile de trouver ma place dans la caravane. Malgré notre chargement, notre allure est plus rapide et je dois freiner ou stopper fréquemment pour éviter que Kiss-Kiss ne morde le derrière du musher qui me précède. Je pense un instant quitter le groupe mais cette décision n'est pas du tout au goût de Pushok qui, pour une fois, voudrait bien s'extraire de ses responsabilités. Apres tout, moi aussi j'ai bien envie de me laisser guider et c'est une bonne occasion pour entraîner les chiens a contrôler leur allure. Nous essuyons une tempête de neige et au sommet d'un massif, mes compagnons perdent leurs repères. Ca discute sec et les avis différent. Je sors ma carte. « Nous longeons la rivière Ribnaya » dis-je. « D'après moi, nous devons la remonter jusqu'au col » « Il a raison ! » dit le vieux. « C'est ce que je vous dis depuis tout a l'heure ! » et sans attendre il lance ses chiens nains dans l'ascension. La nuit tombe et nous sommes encore à une trentaine de kilomètres de Lauvrentia. « La descente vers la baie est dangereuse. Il y a des a-pics » me disent-ils, visiblement pour me rendre plus inquiet que je ne le suis en réalité. Nous progressons dorénavant sans nous voir mutuellement, ma lampe frontale ayant cru bon de griller son ampoule au moment le plus opportun. Soudain les lumières de la petite ville apparaissent et nous piquons dans le vide sans rien y voir. J'ai branche le pilote automatique Pushok et me contente d'équilibrer mon engin qui rebondit violemment sur les rochers. Belle atmosphère ! Une fois sur la baie, je tente de retrouver mes compagnons de route. Le vieux aux chiens nains doit encore être là-haut. Sur les sept attelages, nous ne sommes plus que trois et finissons ensemble cette longue étape. Il est minuit lorsque nous atteignons la ferraille, le béton et les congères de Lauvrentia. Nous sommes le 9 avril 2004, mon compteur personnel affiche 11 400 km, les coussinets de Pushok 8 000 km. Le voyage est, cette fois, bel et bien termine. Je remercie un a un mes chiens sous la voûte étoilee. Nous avons vécu ensemble une belle histoire, pleine d'aventures, de dangers, de rencontres, de bonheur et de galères. Mes chiens sont fatigues mais je les sens satisfaits, heureux comme leur maître d'avoir atteint leur but. De la Mer de Barents a la Mer de Béring, de l'Atlantique au Pacifique, un homme, et ses chiens ont marche dans les plus grands froids, dans la plus grande solitude, dans les espaces les plus sauvages de la planète et dans la nuit. Explorer et faire découvrir au plus grand nombre le haut de notre planète a été notre profession de foi pendant quatre ans. Notre petit budget nous a conduit à vivre comme les Peuples du Nord brisant ainsi les barrières culturelles qui nous éloignaient. Parti comme un voyageur polaire, je suis devenu un tundrevik, un homme de la toundra, sachant vivre de la richesse ou de la pauvreté, comme l'on voudra, de la terre du Nord. N'etait-ce pas la le but meme de mon projet ? Beaucoup se sont associes au projet. Certains des sa genèse, comme le quotidien Le Télégramme la société Francital ou Lestra Sport, pour ne citer qu'eux. L'aventure débutait. L'Agence Spatiale Européenne fut mon partenaire principal. Notre collaboration fut des plus fructueuse. L'ESA ne cessa de mettre a ma disposition les moyens techniques pour communiquer. Transmettre textes et images par voie satellitaire depuis une tente secouée par le blizzard n'est pas sans poser quelques soucis, je vous l'assure. Je trouvai a l'agence une équipe a l'écoute d'un explorateur malmené par les éléments a la fois naturels et budgétaires: de la panne d'ordinateur au patin du traîneau fissure, il y avait une solution a chaque problème. L'aventure pouvait continuer. Parti pour trois ans, j'ai atteint mon but en quatre années. Je regrette que certains raisonnant en terme de contrat, se soient retires de l'aventure avant son terme alors que d'autres rejoignaient le projet pour donner, avec brio et professionnalisme, le dernier coup de pouce vers le finish. Merci a Vokrug Sveta et Eukanuba ! L'aventure pouvait s'achever. 4 avril 2004, Uelen, Detroit de Béring / 66°10'N, 169° 50'W / 11 260 km du Cap Nord /
la victoire J'ai décide que j'atteindrai Intchoun le lendemain, quel que soit la météo. Ma détermination n'a guère fait changer le temps. Des notre sortie de la vallée nous sommes cueilli par un mauvais vent qui m'annonce que la journée va être difficile. Au fur et a mesure de notre avancée, le vent forcit, le blizzard un peu plus haut et la visibilité de plus en plus réduite. Nous laissons un a un les hauts massifs dans notre Nord, carte et boussole sous les yeux. Notre allure est rapide car le traîneau s'est allége. « Intchoun : 20km, magasin, chaleur, bania » m'indique la pancarte publicitaire. Oui mais a part l'azimut donne par ma boussole, nous ne voyons plus rien et il faut traverser un massif avant d'atteindre le lagon. Nous sommes encore sur les hauteurs et trop légèrement vêtu, je suis frigorifie. Sortir ma malitsa me ferait perdre encore le peu de calories que j'ai encore au corps. Je courre donc près du traineau, la gorge haletante due a ma mauvaise bronchite. Intchoun : 7 km. Nous aurions du atteindre le lagon et dans les bourrasques, je n'aperçois qu'un haut plateau entoure de très hautes montagnes. Où sommes-nous donc ? Puisque je n'y comprends plus rien, la seule alternative est de poursuivre droit sur le village, nous verrons bien. Au contraire, nous n'y voyons plus rien mais il s'avère que le haut plateau n'est autre que le lagon. Il faut tenir. Pushok a saisi que nous arrivons mais lui non plus ne voit rien et se pose beaucoup de questions. Le voila qui vire à 90 degrés. Aurait-il senti le village que nous aurions manque ? Je le laisse faire un moment puis, préfère me fier a mon propre sens de l'orientation, sauf tout le respect que j'ai pour Pushok. Intchoun : 2 km. Je m'inquiète. Si nous loupons le village nous sommes morts. La tempête est très mauvaise et le vent du Nord glacial. Au sommet d'une colline, j'aperçois des cubes noirs : le village ? Je crie de joie pour encourager les chiens qui ont couru 40 km sans une seule pause. Les cubes disparaissent puis réapparaissent. Ce sont des rochers. Mon cour bat. Nous nous en rapprochons vite. Non, ce sont bien des cubes. Intchoun : 500 m, nous avons gagne. Les multiples taches d'installation m'ont occupe jusqu'au soir. Je m'écroule sur mon sac de couchage épuise. Des larmes coulent sur mes joues. Quatre ans, quatre hivers, 11 000 km, 700 jours de route, 10 millions de pas dans la neige.Mon esprit effectue une rétrospective éclair : le kayak dans les fjords de Norvège, la Mer Blanche lumineuse, la marche des rennes, mon chien Sokol qui ne verra jamais le Detroit de Béring, la mort qui rode sur la Péninsule de Gydansk, les beaux jours de Taïmyr, le naufrage en Mer de Laptev, mes amis de Tchokourdakh, ma cabane du Cap Tchelagsky, les chaos de glace, l'eau libre, les blizzards incessants, la solitude. Le dernier hiver fut un véritable combat dont nous sommes sortis victorieux. Je saisis la dernière carte topographique marquée Uelen. L'émotion me gagne, nous n'en sommes plus qu'a 28 km. J'ai passe une semaine a Intchoun : 300 habitants, 300 chiens de traîneau. Mes beaux chiens blancs prennent une couleur grisâtre déprimante. Chaque matin, les chasseurs vont vérifier leurs filets a phoque. J'accompagne Alexeï un matin avec son traîneau. Malgré nos fourrures, nous sommes frigorifies. Ce vent sec et glacial du Nord souffle sans répit depuis un mois. Il faut être Tchouktche pour habiter un tel lieu. Il faut avouer que tout le monde s'entend a dire que ce mois d'avril est plutôt froid. Alexeï m'a offert une petite chienne de 3 mois de pure race Tchouktche. Je peux, a pressent clamer que mon attelage est constitue d'individus de toutes les régions du Grand Nord russe. Pushok et Sharik de la région d'Arkhangelsk, Kiss-Kiss et Voltchok de Tioumen, Volk et Kula de Taimir, Tobby et Turgen de Yakoutie, et enfin la petite Intcha de Tchoukotka, Ermak le fou, faisant exception puisqu'il me vient de Moscou. Intcha n'a pas pris long pour m'adopter. Elle a aussi un faible pour Pushok qui la materne en attendant d'en faire son épouse dans quelques mois. Elle est extrêmement intelligente et très belle avec ses yeux bleus langoureux. Beaucoup de chiens de Tchoukotka ont acquis ce gêne après la visite d'un Eskimo d'Alaska venu participer a une course de chiens de traîneaux. Aucun comite d'accueil pour ce finish, ni banderole de bienvenue, ni fanfare pour fêter l'explorateur et sa valeureuse équipe de bagnards. La discrétion a été et restera l'image du projet Arktika. C'est ce que je me dis pour me consoler un peu de la solitude qui m'envahit et de cette joie intérieure que je ne peux communiquer a personne. Je vais droit à la station météo ou je dois être attendu. Je me présente a un énergumène bedonnant qui s'avère être le chef de la station. Il parle vite, s'énerve tout seul et me crache avec véhémence et jurons que nous devons aller nous faire voir ailleurs. Je ne m'attarde donc pas et quitte la place prêt à affronter encore le gymkhana a travers le village du bout du monde. J'aperçois au loin un chasseur s'en revenant de la banquise et, sans hésiter, vais droit vers lui. « Le chef de l'administration ? Mais nous sommes dimanche ! Vous prenez la rue centrale, après deux bâtiments, vous tombez sur un immeuble. Deuxième étage, première porte a droite. » Cent chiens s'apprêtent à trousser les étrangers que nous sommes et je ne vois aucun passage a travers les congères pour mon traîneau, sans parler de la ferraille et des fûts rouilles, entrave naturelle dans le Grand Nord russe. Mon homme n'est guère ému devant mon désarroi et je l'implore pour qu'il consente à me venir en aide. Atteindre la rue centrale sans avarie a été un exploit. Nous sommes stationnes près dudit immeuble et le chef de l'administration vient a nous. J'avais oublie de lui montrer la pancarte « Convoi exceptionnel, 20m de long » mais le héros est fatigue et préfère s'en tenir à acquiescer sans pour autant demander l'impossible à son pauvre Pushok. Comme de coutume, notre hébergement lui pose un sacre problème qu'il avait néglige de résoudre depuis le temps qu'il était averti de notre venue. Nous devons attendre. C'est a peine si les passants nous remarquent. Je lis encore sur certaines lèvres : « Garez votre engin, ou mieux disparaissez » Nadejda est venue à notre secours, son énergie débordante palliant à la mollesse de certains. Les chiens sont sagement attaches, Intcha et son maître hébergés dans une pièce de son appartement. Si au premier abord l'accueil fut quelque peu froid dans le village, les jours qui suivent je peux mieux faire connaissance avec la population. Célèbre par sa position géographique et ses sculpteurs sur ivoire de morse, le village a vu passer des flots de touristes et la réaction du quidam face au voyageur est bien différente de celle d'autres villages plus isoles, tel Enurmino, par exemple. Si le but est atteint, le voyage n'est pour autant pas achevé. Nous devons rejoindre la localité de Lauvrentia à 100 km au sud, sur les cotes de la Mer de Béring. Nous nous envolerons ensuite vers Anadyr avant de rejoindre Moscou et la France. Les chiens se doutent-ils des péripéties qui les attendent encore ? |